Mondiaux 2022 : bilan

La première notion qui me vient en repensant à ces championnats du monde, c est : succès ! Succès d’avoir de nouveau des championnats avec du public, notamment les deux derniers jours, complets. Cela tranche avec les souvenirs du rassemblement à Cergy par exemple, avec une patinoire bien vide et bien grise… espérons que les jauges sont du passé, l’ambiance et le soutien du public (voire même les remontrances houleuses quand les notes ne plaisent pas) font parties intégrantes du sport !


Succès sportif, avec des prestations intenses, et un niveau de compétition assez incroyable dans certaines disciplines, les champions du monde de Montpellier ont loin d’avoir démérité ! Bonnes prestations pour les représentants français dans l’ensemble : la France récupère plusieurs quotas pour les mondiaux de Saitama l’année prochaine. Il y aura 3 représentants en danse, 2 en couple, 2 chez les messieurs, 1 chez les dames.
Succès du protocole sanitaire : il y a certes eu des forfaits de dernière minute, comme les couples italiens, mais aucun athlète présent n’a été empêché de participer jusqu’au bout pour cas avéré en cours de championnats. A garder en tête en cas de nouvelle vague, ce que l’on ne souhaite bien sûr pas : organiser de grands championnats avec 9000 personnes, c’est possible !


Outre la situation sanitaire, l’autre événement de ces mondiaux aura été bien sûr la guerre en Ukraine. Même en le voulant, impossible d’en faire abstraction, tant cette actualité douloureuse refait surface et s’invite sur la compétition, et ce à trois niveaux.

Avec l’absence des encadrants russes et biélorusses tout d abord. C’est ‘l’absence la plus visible’, les patineurs s’entraînant en Russie et/ou avec des entraîneurs russes se retrouvant tous seuls dans le kiss and cry. Conditions loin d’être idéales donc pour Morisi Kvitelashvili ou Ekaterina Ryabova par exemple.

Avec l’absence des patineurs eux même ensuite. Cela s’est fait nettement sentir chez les couples et les dames, où tout le podium paraissait acquis aux représentants russes. Le manque s’est moins fait sentir je trouve en couple, tant il est vrai la soirée fut riche en émotions. Sentiment partagé chez les dames : sensation qu’il manquait un demi-groupe, mais d’un autre côté la compétition m’a semblé moins pesante, plus ouverte, le nombre de quadruples réalisés n’étant plus un enjeu majeur.

Enfin, avec la présence des patineurs ukrainiens, réelle satisfaction, entraînant énormément d’émotions différentes. Le simple fait de les voir se présenter sur la glace, alors qu’ils étaient encore il y a peu sous les bombes russes, arrivant tant bien que mal à sortir du pays et à s’entraîner quelques jours force l’admiration et le respect.

Moment très émouvant pendant la cérémonie d’ouverture, quand Nathalie Péchalat a exprimé son soutien aux patineurs ukrainiens, et que ceux-ci ont été soutenus avec une minute, non pas de silence, mais d’applaudissements.
Le soutien de la grande famille du patinage et de tout le public est une vraie fierté. Je salue au passage toutes les actions tentées pour trouver des solutions d’hébergement et d’entraînement à l’équipe ukrainienne, personne n’aurait pu concevoir qu’ils aient dû repartir en zone de conflit.

Mais ces patineurs ont beaucoup grandi, voire vieilli en quelques semaines. Pour reprendre les mots de Maksym Nikitin, comment penser au sport, comment patiner un programme alors que des proches sont encore terrés dans des caves, que des concitoyens meurent tous les jours, notamment des enfants ? Justement, se sublimer, et profiter du sport pour montrer que l’Ukraine existe toujours, que ses patineurs sont toujours là. Patiner, tout simplement, le sport de retour à la base même de son existence.

Et avec du sens : Oleksandra et Maksym ont réécrit toute leur rhythm dance ; ils n’avaient pas à cœur de présenter leurs deux programmes de début de saison : ‘on ne pouvait tout simplement pas patiner sur une musique joyeuse’ (ils avaient choisi ‘Hit the road Jack pour la rhythm dance, et ‘Moulin rouge’ pour le libre). Ils ont réussi le tour de force de reconstruire en quelques jours leur rhythm dance sur la musique ‘1944’ de Jamala, qui fait écho aux événements en Crimée, avec le soutien d’Hugo Chouinard de l’équipe de Montréal qui a fait tout le montage.

Se pose la question de ce qu’on peut faire à notre niveau… la réponse est d’une simplicité déconcertante : tout simplement ce que l’on peut. Beaucoup de patineurs arborent les couleurs bleu et jaune, qui sur leur masque, qui sur leur veste, voire sur leurs ongles comme Gabriella.

De mon côté je n’étais pas à l’aise tant cette situation me touche, peur de ne pas prendre assez de recul peut-être. Questions philosophiques même si on veut, du type ‘le sport doit-il être hermétique à tout ce qui est ‘non-sport’  ‘? Quelle place octroyer à cette guerre, faut-il prendre partie, se positionner alors qu’on est là avant tout pour parler patinage ? Faut-il être plus conciliant avec les patineurs, les juges doivent-ils être moins stricts ? Sur cette question, ma réponse est : non, ce serait leur enlever leur caractère même de patineur, ils doivent être traités avec la même justesse et impartialité que les autres. La meilleure attitude a adopter a été confirmée par un illustre collègue journaliste : raconter, se faire témoins de la situation. De toute façon, ces championnats parlent eux aussi de cette guerre, à leur façon.

Raconter le regard d’Oleksandra Nazarova, celui de Maksim Nikitin, celui d’Artem Murashko, qui sont des images qui marquent. On y lit la détresse d’un peuple martyr, la fierté de représenter ses couleurs, l’incertitude de la situation de ses proches (comme le dit Oleksandra, ‘le pire est de ne pas avoir de nouvelles le matin’), la sensation d’être des privilégiés peut-être car eux ont réussi à sortir du pays et à survivre. On sent également le poids qui pèse sur leurs épaules : ce ne sont que des patineurs après tout, Nazarova/Nikitin sont en milieu de carrière, ils devraient être occupés à planifier le prochain cycle olympique, alors qu’Artem commence la sienne et devrait avoir la tête aux quadruples et au triple Axel. Les voir s’exprimer devant les médias, pour expliquer la situation, dire exactement ce qui se passe en Ukraine, représenter à eux seuls leur pays en quelque sorte, est aussi une sorte d’injustice… tout ce poids qui repose sur eux, ce ne devrait pas être leur job ! Mais il n y a qu’eux à Montpellier… et ils assument ce rôle d’ambassadeurs avec dignité, responsabilité, et une grande maturité. Je ne peux que me joindre à leurs paroles : que cette guerre se termine au plus vite; l’Ukraine a on ne peut plus besoin de notre soutien.

Pour finir sur une note plus légère, mes souvenirs les plus marquants ont été, dans le désordre : les danses libre de Gabriella et Guillaume, de Madison et Zachary, et Kaitlin et Jean-Luc, le court de Shoma (son libre aussi d’ailleurs), les rhythm dance live de Taschlerova/Taschler et Reed/Ambrulevicius, le triple Axel de Camden Pulkinen dans le programme court, et bien d’autres encore, comme la conférence de presse en danse, surtout après le libre. Qui sait, Zachary pourra se reconvertir en empileur de bouteilles d’eau !

Les différents aurevoirs qui ont ponctué les derniers programmes libres des patineurs arrêtant leur carrière : c’était attendu pour ces mondiaux post-olympiques, cela reste des moments touchants.

Un moment assez particulier, qui n’a pas du être filmé à la toute fin du gala : Adam qui s’allonge sur la glace, alors que Keegan s’élance… et lui saute par dessus en back-flip !

Autre moment qui n’a pas dû passer la barre télévisuelle : après les podiums danse, les nombreuses photos des athlètes entre eux, et celles notamment avec les patineurs ukrainiens, qui ont le temps de quelques clics retrouvé le sourire.

J’aurai bien aimé aussi avoir le temps de me transformer en petite souris pour assister à la traditionnelle séance d’explications des nouvelles règles de danse pour l’année prochaine. Maurizio Margaglio entre autre expliquait devant un parterre d’entraîneurs et de patineurs les subtilités de la mise à jour du règlement… qui ont suscité beaucoup de questions ‘mais dans la séquence de pas, est-on autorisés de se toucher ou est-on autorisés de ne pas se toucher ??’.

Revoir aussi les anciens champions français, présents pour une séance de dédicace : Sophie Moniotte, Isabelle Delobel, Vanessa Gusméroli, Gwendal Peizerat, Surya Bonaly…
Pour la suite du programme, n’oubliez pas la Tournée de l Équipe de France qui circule dans plusieurs patinoires ces jours-ci !

(Crédit photo de couverture : Tanya Drubetskaya)