Entretien avec Matteo Guarise et sa nouvelle partenaire Lucrezia Beccari

Quand Nicole della Monica a décidé de raccrocher ses patins à la fin de la saison olympique, on aurait pu penser que Matteo Guarise prendrait la même décision que sa partenaire depuis 11 ans. A 35 ans, l’heptuple champion d’Italie a déjà participé à neuf championnats du monde, huit championnats d’Europe en flirtant avec le podium par deux fois, et trois olympiades. Il faut croire que la passion du sport a été la plus forte, car il repart de zéro avec sa toute nouvelle partenaire, Lucrezia Beccari. De quinze ans sa cadette, elle a logiquement un palmarès moins fourni, mais notamment un titre de championne nationale remporté chez les juniors en 2017-2018, suivi par deux médailles en seniors.

Nous les retrouvons sur les championnats d’Europe où l’Italie a aligné trois couples, avec de très bons résultats, preuve que nos voisins cisalpins deviennent une référence dans cette catégorie.

Après le programme court :

Lucrezia, comment as-tu décidé de te lancer dans cette nouvelle discipline, le couple ?
« L’année dernière, ma saison en individuelle a été très compliquée, j’ai décidé de raccrocher les patins… au moins en individuel ! On a alors commencé à patiner ensemble avec Matteo. Au début j’étais assez impressionné, car c’est Matteo Guarise, il a une carrière impressionnante ! Et puis, très vite, je m’y suis habituée, c’est un patineur avant tout. Il a tellement d’expérience, j’apprends beaucoup avec lui pendant les compétitions, cette discipline est complètement nouvelle pour moi. »

Tu as fait de la danse étant plus jeune, tu aurais pu reprendre cette discipline ?
« Oui, j’ai fait de la danse, mais c’était il y a assez longtemps, et le couple me plait beaucoup, il fallait que j’essaye ! Ce que j’aime le plus, c’est la connexion entre nous deux avec Matteo, je ne suis plus toute seule sur la glace. Je le ressens particulièrement en compétition, mais aussi hors glace, et dans la ‘vraie vie’. Après, qui sait, je referai peut-être de la danse après le couple !

Mattéo, comment se passe ce tout nouveau partenariat ?
« J’apprends aussi beaucoup de Lucrezia, elle est plein d’énergie, moi je ne suis plus tout jeune ! Elle a envie d’apprendre, ça fait plaisir. Quelque part avec elle je prends les choses avec un peu plus de légèreté, je suis moins dans la routine que j’avais en place, avec chaque chose à sa place. C’est un coup de vent frais !
De mon côté, quand Nicolle a décidé d’arrêter la compétition, pour moi c’était clair, je voulais continuer. J’aime tout simplement ça ! L’entraînement, la vie d’athlète de haut niveau, repousser ses limites, atteindre ses objectifs, j’aime cette vie. Même s’il faut repartir à zéro, tout réapprendre ensemble ! Ce n’a pas été le seul changement dans ma vie : depuis un an je me suis marié, j’ai changé d’appartement, de ville pour aller habiter à Bergame, de partenaire, j’ai un petit chat,… mais je souris, tout se passe bien pour moi.

Sur la glace, avez-vous trouvé vos marques rapidement ?
Matteo : « Si pour certains nouveaux couples certaines choses, comme les croisés, viennent naturellement, pour nous ça a demandé beaucoup de travail, rien n’a été vraiment naturel du premier coup. Je dois beaucoup plus réfléchir qu’auparavant avec Nicolle, où après toutes ces années il y avait beaucoup d’automatismes. Là, il y a beaucoup de réglages à effectuer. La spirale de la mort, aujourd’hui elle était bien, mais je ne compte plus le nombre de fois où on l’a travaillé à l’entraînement. Sur les sauts lancés, j’avais une technique russe, d’abord ramener la partenaire proche du corps puis la projeter en l’air, avec Lucrezia je dois aller beaucoup plus vite, car elle est très rapide. Mais Lucrezia doit aussi penser à beaucoup de choses, sur un porté par exemple il faut penser à la tête, aux jambes, au gainage… moi je me dis seulement ‘plie tes genoux !’ »
«Normalement avant une compétition, on a un emploi du temps simplifié. C’était tout le contraire sur ces championnats, on a fait beaucoup de galas avant de venir en Finlande, sur des petites glaces, avec des lumières… Quand on a été annoncé pour l’échauffement, avec les lumières, j’ai dit à Lucrezia ‘tu vois, c’est comme en gala’ ! »

Quand un nouveau couple se forme, le Twist est souvent l’élément le plus dur à maîtriser, comment avez-vous réussi à faire un triple aussi rapidement ?
Lucrezia : « C’est mon élément préféré ! »
Matteo : « J’ai tout de suite vu comment on allait faire. On a fait des exercices, pour que Lucrezia prenne l’habitude des sensations, et après quelques mois on passait le triple. »
Lucrezia : « Et j’aimerai faire un quadruple ! »
Matteo : « Notre Twist idéal, c’est celui de Sui/Han. On ne va pas chercher à faire des éléments très haut comme Tarassova/Morozov, car c’est encore plus dur. Mais Lucrezia tourne très vite sur elle-même, et je sais qu’on peut gagner 15 cm d’ici l’année prochaine. »

Et les sauts lancés ?
Matteo : « Sur les sauts lancés, la technique la plus inspirante est celle de Meagan et Eric : des sauts pas forcément très hauts ou très longs, mais qui tournent très vite. C’est la technique la plus efficace est la moins dangereuse. On a la chance d’avoir Ondrej Hotarek et Luca Dematte à la patinoire pour nous conseiller, on arrive à très bien travailler au harnais avec eux. On pense déjà à de grosses difficultés, mais tout en restant prudents.
ucrezia : « Comme pour le Twist, j’aimerai aussi faire des quadruples ! »

Comment avez-vous trouvé les idées de musique pour vos programmes ?
Matteo : « Au départ pour le programme court, on avait choisi ‘Zombies’ des Cranberries, mais il y a beaucoup de rythme, le tempo est très saccadé, ça ne collait pas du tout avec notre niveau actuel. Puis on est allé en stage avec Valter Rizzo (le père de Matteo), c’était le 15 août, et on lui a dit : « il y a un problème, on n’a pas de programmes ! » Et on a patiné 6 heures par jour, pendant 5 jours d’affilée, et on avait nos deux musiques, et nos deux programmes. C’était super dur, j’espère que je n’aurai jamais à refaire quelque chose comme ça ! »

Après le programme libre :

Quelles sont vos sensations après ce programme et cette compétition ?
Lucrezia : « C’était un peu différent aujourd’hui comparé au programme court, j’étais plus nerveuse ».
Matteo : « J’ai entrechoqué mes lames sur l’appel du triple Salchow, et je suis parti à la faute. C’est bizarre je me sentais bien avant le programme, ça a été un peu plus dur ensuite, il y a surtout eu une grosse erreur sur le saut lancé. Mais le public nous a bien soutenu, c’était super, je pense que les gens ont bien aimé notre programme. C’est un peu mon défaut, de vouloir tout tout de suite, trop vite. Il faut qu’on progresse étape par étape, on a déjà accompli beaucoup en peu de temps. Chaque saison, on doit établir nos objectifs. Faire partie de l’équipe nationale ? C’est fait. Réussir à apprendre tous les éléments séparément ? C’est fait. Maintenant, il nous reste à tout réunir dans les programmes.
Surtout qu’en ce moment il n’y a pas de couples russes, mais je pense qu’ils seront bien de retour en compétition, et là le risque est que tout le monde descende de trois places. Je préfère anticiper et ne pas attendre. Cette saison je me suis entraîné plus que la saison dernière, et je me sens mieux !
Et on sait déjà sur quoi il faut qu’on travaille pour la saison prochaine. Mais là, tout de suite, je pars en voyage de noce !

Un petit mot de Nicolle della Monica, qui fait office de team leader pour l’équipe italienne sur cette compétition :
« J’ai arrêté la compétition mais je suis toujours dans une patinoire ! En tant que team leader, je suis là pour rappeler aux patineurs ce qu’ils doivent faire à quel moment, où ils doivent aller… ils le savent, mais c’est toujours bien d’avoir un rappel. Et ça me permet de retrouver tout l’équipe italienne, plein de têtes connues !
C’était ma décision d’arrêter l’année dernière, c’était le moment après une carrière assez longue. Je dois avouer que pendant les 3-4 premiers mois j’étais un peu perdue, je ne savais pas trop quoi faire. Maintenant c’est plus clair ! Je travaille de temps en temps pour la fédération, j’étais par exemple dans l’organisation de la Finale du Grand Prix à Turin. Je vais aussi participer à un regroupement de patineurs de couple que l’ISU organise prochainement à Berlin. C’est plus dans ce rôle de consultante que je me vois, en intervenant de temps en temps : pouvoir partager mes connaissances et prodiguer des conseils, mais sans être entraîneur à temps plein. J’ai vu tout ce que ça représente quand j’étais athlète, et ce n’est pas fait pour moi.
Est-ce que voir patiner Matteo avec une autre partenaire est étrange ? Pas vraiment, j’ai vraiment tourné la page de la compétition. Matteo continue, Lucrezia est toute jeune, ils ont encore un grand chemin à faire, mais s’il est heureux, je suis heureuse pour lui, c’est vraiment bien. »