Sur la version revisitée par Tomotaka Okamoto du Boléro de Ravel, Shoma Uno, comme sa compatriote Kaori Sakamoto, a délivré un programme parfait pour faire sûrement la meilleure compétition de sa vie ! Les premières minutes donnent le ton : quadruple boucle, quadruple Salchow, quadruple boucle piqué-double boucle piqué et triple Axel ! Shoma se permet de placer le quadruple flip en 7ème élément de son programme, dans la partie bonifiée… avant d’enchaîner sur le deuxième quadruple boucle piqué, son cinquième quadruple ! Les juges notent une rotation incomplète, mais quelle performance ! Sa note technique lui donne déjà quasiment 10 points d’avance, les composantes étant également à son avantage. Il engrange 202.85 points sur le libre et 312.48 points au total, Shoma coiffe la couronne mondiale après ses deux médailles d’argent de 2017 et 2018.
Yuma Kagiyama consolide également sa deuxième place obtenue sur le programme court, en terminant 2ème du libre avec 191.91 points et 297.60 points au total. Il repart avec l’argent autour du coup, pour la deuxième fois en deux participations ! Bon choix musical avec le thème de ‘Gladiator’, même si ses qualités d’interprétation et surtout de projection vers le public et les juges peuvent encore être améliorées. Il est un peu moins fiable techniquement aujourd’hui, avec un quadruple boucle fortement incomplet et son deuxième triple Axel qui n’est pas déclenché. Par contre, quand ses sauts passent ils sont de toute beauté. Il s’est vraiment révélé ces deux dernières années, et sera un prétendant sérieux aux podiums internationaux sur le nouveau cycle olympique qui commence, sachant qu’il est loin d’avoir atteint son maximum.
Vincent Zhou complète le podium en remontant de sa 6ème place du court, avec la 4ème place du libre (181.54 points), pour un total de 277.38 points. Médaille mondiale en forme de rédemption après ses mauvais souvenirs olympiques : ayant contracté le covid après l’épreuve par équipe, il n’avait pas pu tenter sa chance pour la médaille olympique, qui semblait à sa portée. Invité au gala en fin de compétition, il n’avait pas pu participer à la cérémonie de clôture car déclaré cas contact au moment de monter dans le bus qui l’emmenait vers le nid d’oiseau. Amers souvenirs, qui semblent l’avoir profondément marqué, des chances de podium olympiques ne se rencontrent en effet pas tous les jours dans la carrière d’un patineur… Il est pourtant encore jeune (22 ans), sa participation aux prochains Jeux, qui seraient ses troisièmes, est, sur le papier, tout à fait possible.
Aujourd’hui à Montpellier il tente beaucoup comme les quadruple Lutz et quadruple Salchow en entame de programme ; la machine se grippe ensuite sur les notes de ‘Crouching tigger, hidden dragon’. Il avait annoncé quadruple Axel, il ne tourne finalement que trois tours et demi, avec un retournement. Le quadruple Salchow et le triple Axel qui suivent, en combinaison, manquent de rotation. Avec sa grande vitesse de rotation en l’air, il n’a pas besoin d’une vitesse énorme sur ses prises d’élan, il m’a paru parfois un peu lent. Vincent fait néanmoins un programme tout à fait correct, le bronze vient couronner une belle saison malgré tout.
Morisi Kvitelashvili prend lui la place d’honneur avec 272.03 points, dont 179.42 points sur le libre. Trois quadruples, un triple Axel, deux triple flips dont un en combinaison triple-triple en fin de programme, Morisi est dans un bon jour ! Il lui faudra pourtant trouver ce petit plus qui lui manque pour monter sur le podium mondial ; cela passera peut-être par des choix musicaux un peu plus osés qu’un medley de musiques de Sinatra : il sait très bien apporter une dose d’humour en gala, avec son programme sur le génie d’Aladdin où il apparaît tout en bleu !
Pour ses premiers mondiaux, Camden Pulkinen prend une belle 5ème place, grâce à la troisième place du libre, qui lui permet de remonter de sa 12ème place du court (271.69 points au total, dont 182.19 sur le libre). Programme parfait sur ‘Besame mucho’ avec deux quadruples boucles piqués, deux triple Axel, toute la gamme des triple sauts avec une belle amplitude. S’il a 22 ans comme Vincent, Camden entame tout juste sa carrière mondiale, qu’on lui souhaite longue et prolifique.
Kazuki Tomono n’a pas réussi à conserver sa troisième place acquise sur le court : trop d’erreurs sur les plus grosses difficultés techniques (quadruple et triple Axel) le relèguent à la 8ème place du libre (168.25 points) et à la 6ème place au final. Dommage, il avait pourtant fait un très bon libre lors de sa précédente participation (3ème en … 2018 !). J’aime particulièrement son énergie et sa faculté à se projeter vers le public, ses compatriotes étant moins expansifs, son sourire est communicatif ! J’espère que nous le reverrons bientôt, lui qui est habitué aux rôles de remplaçants de dernière minute.
Adam Siao Him Fa commence son programme sur ‘Daft Punk’ en fanfare avec deux quadruples boucles piqués, le triple Axel et le quadruple Salchow ! Petit moment d’inattention ensuite qui le fait trébucher et manquer le Lutz qu’il réussit à sauver en double, Adam se reprend sur la fin en assurant ses dernières combinaisons. Quel soutien du public ! Il décroche la 6ème place du libre avec 175.15 points, en battant au passage son record personnel, et 266.12 points au total pour la 8ème place. Bien joué !
Adam :
J’ai vraiment pris plaisir à patiner, le début du programme s’est bien passé… et j’ai eu un déséquilibre qui m’a complètement déconcentré. J’ai ensuite réussi à me remobiliser, surtout avec le soutien du public, c’était vraiment génial ! Ca m’a vraiment boosté pour tenir jusqu’au bout. L’année prochaine, j’aimerai inclure un quatrième quadruple dans mon libre, le flip ou le Lutz, je ne sais pas encore. Et un deuxième quadruple dans le court. J’ai déjà quelques idées pour les musiques, une petite playlist dans laquelle piocher.
Adam termine juste devant Ilia Malinin, le nouveau petit prodige du patinage, vice-champion des Etats-Unis. Encore très jeune, il a acquis de l’expérience au plus haut niveau qui lui sera très utile pour la suite. En délicatesse sur plusieurs sauts (quadruple Salchow et quadruple boucle piqué), il ne termine que 11ème du libre (163.63 points), et 9ème au combiné des deux épreuves (263.79 points). Beaucoup de progrès à faire, notamment sur la deuxième note, mais les bases sont là.
Kevin Aymoz manque encore de régularité sur ses quadruples sauts au plus haut niveau, alors qu’il sait très bien les faire. Une gestion de stress à travailler il semble, il est vrai que l’ambiance était particulière ici, avec une salle comble et acquise à sa cause. Le reste du programme est solide, c’est dommage car la musique éthérée de ‘Outro’ par M83 façonne une ambiance interstellaire, comme hors du temps, avec un sans-faute et tout le public derrière lui, le moment aurait été magique. Il termine à la 12ème place du libre avec 160.20 points, et 11ème au final avec 245.46 points.
Kevin :
Je n’ai jamais autant travaillé de toute ma vie que depuis les JO, j’étais vraiment prêt pour ces championnats. Ces quatre dernières semaines, c’était la première fois de la saison où j’avais autant de temps pour me préparer, sans blessure. J’ai pu travailler le cardio, enchaîner des programmes quasi sans fautes.
Pour la suite, je vais surtout faire en sorte de ne plus me prendre la tête ! Sur la technique et sur le côté artistique, je veux aller plus loin dans ce que je peux apporter, et continuer à explorer mon propre patinage.
On a commencé à écouter quelques musiques pour les nouveaux programmes, mais on ne s’y met pas à fond avant une grande échéance, on reprendra ça plus calmement après cette compétition, et après le break qui va suivre et qui sera le bienvenu.
A l’inverse de Kevin et Adam qui remontent au classement, les patineurs italiens perdent chacun deux places, notamment à cause de problèmes rencontrés sur les quadruples, pour venir chacun devant un de nos compatriotes : Daniel Grassl termine 7ème devant Adam (266.66 points au total, dont 169.04 points sur le libre), et Matteo Rizzo 10ème devant Kevin (245.46 points, dont 164.08 points sur le libre).
Côté canadien, un quasi échange de place à la manière d’un ascenseur, entre Roman Sadovsky qui passe de la 18ème à la 9ème place (12ème place au final, avec 245.36 points) et Keegan Messing qui plonge de la 9ème à la 17ème place (14ème au final avec 235.03 points).
Roman réalise un programme solide, avec deux tentatives de quadruple Salchow, la première étant particulièrement réussie ; il est un peu plus à la peine sur la répétition du saut et sur le triple Axel (164.82 points pour son programme). Keegan, 30 ans révolus, tente autant que les petits jeunots, avec un quadruple Lutz et deux quadruples boucle piqués au programme, malheureusement chuté tous les trois (143.85 points). J’espère qu’on le reverra vite sur le sol européen, son patinage est vif et précis.
Keegan :
‘L’année prochaine, j’espère bien être encore là, on verra comment ça se passe. J’ai comme objectif de garder mes quadruples, dont le quadruple Lutz, et de rester à la bagarre avec les plus jeunes’.
Beaucoup d’émotion quand Ivan Shmuratko s’élance sur la glace. Le natif de Kyiv, entouré d’Oleksandra Nazarova et de Maksym Nikitin, n’a pu que très peu s’entraîner dernièrement, il est le seul de la délégation ukrainienne à présenter son programme libre, sur ‘Nuvole Bianche’ de Ludovico Einaudi. Il passe son triple Axel et ne tourne que deux triples en double, son libre est un véritable exploit. Mais l’essentiel n’est pas là, son classement final (23ème) importe peu. Le public lui offre une standing ovation pendant de longues minutes, avec à la main des drapeaux ukrainiens imprimés avant la compétition et distribués devant les portes de la patinoire.
Nous le retrouvons après sa performance :
Comment te sens-tu ?
Aujourd’hui, je me sens fier, fier d’être Ukrainien et de représenter mon pays au niveau international. C’est vraiment important pour moi, je fais ce que je peux à mon niveau. Nous avons besoin du soutien du monde, nous en avons vraiment besoin. En ce moment même, des gens sont en train de mourir, peut-être même des enfants, la guerre est toujours en cours dans mon pays. Il faut que ça s’arrête, il faut que le monde entier soit derrière nous et fasse tout ce qui peut être possible d’être fait.
Tes autres compatriotes ont déclaré forfaits pour le libre, où as-tu trouvé l’énergie pour patiner ton programme libre ?
Quand il y a volonté de survie, patiner n’est pas difficile. Ce qui est très dur c’est de devoir dire au revoir à des gens qu’on aime, des gens de son propre peuple.
Est-ce que tu sais où tu seras lundi après ces championnats ?
Non, je ne sais pas… sûrement quelque part en Europe.
Quand tu vois tous ces drapeaux, tous ces encouragements, que ressens-tu ?
C’est très important, c’est un soutien visible qui nous est montré. Merci beaucoup pour tout ça.