Euros 2020, J4 : pas de quadruple, mais l’or européen pour Alena Kostornaia

C’est fait pour Alena Kostornaia, elle réussit à gagner un deuxième titre majeur, et ce sans quadruple sauts ! Le scénario ressemble assez à celui de la Finale du Grand Prix ou des championnats de Russie : Alena gagne le programme court, grâce notamment au triple Axel qui reste le saut le plus difficile autorisé, mais risque fort de se faire distancer dans le libre, où sa compatriote Anna Shcherbakova, qui la talonne, va aligner les quatre rotations et rattraper son retard.

C’est peu ou prou ce qui s’est passé à Graz : mais même en étant deuxième du programme libre, Alena Kostornaia reste première à l’issue des deux épreuves avec 240.81 points. Alena gagne le titre grâce à l’avance qu’elle avait engrangée hier sur le programme court, et également à sa note de composantes sur le libre, alors qu’elle n’obtient que la 3eme note technique. L’adage bien connu des patinoires ‘on ne peut pas gagner une compétition avec un programme court, mais on peut la perdre’, qui était souvent vérifié sous l’ancien système de pointage, est une nouvelle fois pris en défaut. Et c’est tant mieux pour Alena, qui présente un programme quasi parfait. Son triple Axel est toujours aussi sûr, elle en aligne deux en début de programme, un de chaque côté de la patinoire. Sa régularité est assez incroyable, elle en fait peu aux entraînements, mais tous passent quasiment sans faute. Jolie interprétation sur ‘Supermassive black hole’ de Muse, entre autre; comparée à Anna et Aleksandra, je trouve que sa technique est plus ample, il y a plus d’espace dans son évolution. Sa seule erreur de la compétition est son dernier triple Lutz, enclenché avec un délai, la rotation ne commençant que tardivement, une fois en l’air… mais pris sans assez de vitesse et sans assez d’amplitude, la chute ne peut être évitée. Son saut n’est d’ailleurs pas considéré comme en sous-rotation, ce qui n’aurait pas été choquant, mais la différence de notation (environ un point et demi) n’aurait pas changé le résultat final. Leçon de ses championnats : inclure des difficultés dans ses programmes, mais surtout patiner propre !

Très bons choix musicaux pour Anna Shcherbakova, qui commence en bleu avec un Gnossienne d’Erik Satie, puis termine en rouge, après un effet de costume, avec “l’oiseau de feu” d’Igor Stravinski. Anna tente beaucoup, mais rate juste un petit trop, pour pouvoir remonter son retard du court comme à Turin. Son programme est techniquement très relevé : pas moins de quatre Lutz et deux flip ! Ca commence très fort, avec quadruple Lutz-triple boucle piquée, une combinaison digne de Nathan Chen, qui lui rapporte quasiment 20 points. Le quadruple flip qui suit est incomplet, et malheureusement le deuxième quadruple Lutz, en sous-rotation, est chuté. Après les quadruples en entrée, les combinaisons sont en deuxième partie sur, donc, les deux triple sauts les plus durs. Manque de rotation sur la combinaison triple Lutz-triple boucle, par contre l’enchaînement triple flip-euler-triple Salchow est solide. Anna est rapide sur la glace, la chorégraphie est poussée, il ne lui manque vraiment pas grand chose pour gagner le titre, elle totalise 237.76 points. Avec un peu plus de rotation sur les quadruples, elle pourrait bien prendre sa revanche à Montréal pour les championnats du monde.

On retrouve comme prévu Aleksandra Trusova à la troisième place, avec 225.34 points. Elle est un peu distancée par ses compagnes d’entraînements, notamment sur la deuxième note : là où Alena et Anna sont à 72.58 et 71.19 points, Aleksandra n’est “que” à 67.25. Elle devrait rattraper son retard, elle est encore jeune et progresse vite ! Elle se bat bien sur les musiques de ‘Game of throne’, ses qualités de patinage sont indéniables. C’est elle qui a le palmarès le plus fourni jusqu’ici, avec deux titres de championne du monde junior, devant, vous le devinez, Kostornaia en 2018 et Shcherbakova en 2019. Avec les quadruples Lutz, flip, boucle piqué, et Salchow dans les jambes, c’est celle des trois qui a le plus gros potentiel technique, sachant qu’elle travaille également le triple Axel ! Reste cependant à stabiliser le tout, et à progresser sur la deuxième note, car Anna et Alena sont désormais souvent devant, et la relève devrait vite arriver… Déjà en difficulté sur le quadruple Lutz aux entraînements, avec plusieurs échecs (le saut finissant toute de même par passer), elle le présente en début de programme, mais chute. Bonne réaction ensuite avec combinaison quadruple boucle piqué-triple boucle piqué juste derrière, sachant qu’elle replace un deuxième quadruple boucle piqué en partie bonifiée du programme, soit après plus de deux minutes ! Malheureusement, le saut est fortement en sous rotation, et chuté. Les deux combinaisons sur triple Lutz (avec boucle piqué, et Salchow) passent sans problèmes. Un peu en retard donc sur les composantes, mais elle empoche la deuxième meilleure note technique (la seule du trio à avoir la séquence de pas en niveau 4), sachant qu’elle avouait revenir tout juste à son niveau de forme après le break du nouvel an en Russie… Après la victoire d’Alena à Turin pour la Finale du Grand Prix et à Graz pour ces championnats d’Europe, celle d’Anna aux championnats russes, Montréal pour les mondiaux sera peut-être sa compétition !

Sans possibilité de monter sur le podium, Alexia Paganini fait sa meilleure performance de l’année sur des musiques de ‘La la land’, pour terminer 4eme, soit deux places de mieux que l’an dernière. Avec 192.88 points, elle est à plus de 33 points du trio russe, soit au moins trois fois la combinaison triple Lutz-triple boucle piqué qu’elle place en début de programme ! Alexia a encore une grosse marge de progression, ne serait-ce qu’en technique : le deuxième triple Lutz est incomplet et chuté, et le reste des sauts est assez ‘simple’, avec deux double Axel, et combinaisons sur boucle et boucle piqué, pour un total de six triple sauts.

Derrière la suissesse, Emmi Peltonen conserve sa 5eme place avec 181.79 points pour 3 petits dixièmes de points, car elle ne termine que 7eme du libre. Superbe combinaison triple boucle piqué-triple boucle piqué d’entrée, mais un peu moins de réussite par la suite, avec chute sur triple boucle et triple flip non déclenché. Assez bon programme toutefois, qui lui permet également d’améliorer de 3 rangs sa 8eme place de l’année dernière. Elle devance Ekaterina Ryabova, qui conserve elle aussi sa place du court (6eme avec 181.49 points), et Eva Lotta Kiibus, 7eme avec 181.24 points (et la 5eme place du libre).

Première française, Maé-Bérénice Méité est 9eme avec 172.08 points, et la 10eme place du libre sur ‘Hometown glory’ d’Adèle. Maé est toujours aussi combattante, elle ne lâche rien, ça fait plaisir à voir ! Elle aligne de nouveau les difficultés techniques, et se bat pour tenir les sauts, à la réception parfois un peu juste, les trois derniers triples recevant des notes d’exécution négative des juges, le triple boucle en combinaison étant dégradé.
Maé-Bérénice :
“C’est bien aussi quand c’est fini ! Je suis satisfaite de mon libre et de l’ensemble de ma compétition. Je suis physiquement plus proche de mon état de forme. Mes deux programmes sont assez bons dans l’ensemble, ce sont deux performances qui me ressemblent plus. Reste encore à travailler la fin de programme pour qu’il soit plus fluide, pour me rapprocher des 180, 190 points, voire des 200 pour rentrer dans le top 10 mondial. Je suis réaliste, ce ne sera pas pour cette année, mais c’est un objectif pour les mondiaux de l’année prochaine, pour ramener deux quotas pour les JO. J’y pense déjà ! Sur le libre, je pars en me disant de ne rien retenir, car même en se retenant on n’est pas sûr que ce sera mieux ensuite ! Mais psychologiquement, il reste toujours le fait que le libre est plus long, que ça va être plus dur à tenir que le court, donc on se crispe et du coup les sauts sont moins glissés. Je travaille sur cet aspect, mais c’est un réflexe qui a la dent dure ! Ma souplesse dorsale, je l’ai depuis petite où j’ai fait de la GRS, je l’entretiens maintenant, pour pouvoir passer les pirouettes cambrées. Quand j’arrête de patiner quelque temps je réassouplis mon dos, mais les mouvements vers l’arrière sont assez faciles. Ce n’est pas la même chose avec les hanches, vous ne m’avez jamais vu faire un grand aigle, c’est mon rêve !”

Véritable révélation, Maia Mazzara confirme son très bon début de saison, avec une superbe 11eme place pour ses premiers championnats d’Europe, et rien moins que la 8eme place du libre (dont la 6eme note technique, ex aequo avec Ryabova) ! Avec 170.06 points, elle effectue une des plus belles remontées de la compétition. Programme solide, commencé par double Axel-triple boucle piqué et terminé par double Axel-euler-triple Salchow, avec entre les deux l’ensemble des autres triples (sept au total), dont le flip par deux fois; seul le boucle est chuté. Bonne vitesse, jolie qualité de patinage, bon touché de glace, à suivre de très près, sachant que les niveaux peuvent encore augmenter, comme sur la suite de pas (niveau 2) et la pirouette cambrée (niveau 3) !
Maia :
“Je suis très contente mon programme libre, surtout que j’ai passé le Lutz et le flip, en ce moment à l’entraînement c’était plutôt soit l’un soit l’autre. Pendant les 6 minutes, j’étais assez stressée, j’ai bien patiné le court, et j’avais vraiment envie de bien faire, mais j’étais trop speed. Mais après l’échauffement, je me suis calmée, je me suis concentrée pour être vraiment dans le moment présent, en prenant mon temps sur chaque élément. Sur le triple boucle, c’est une erreur un peu bête : la pirouette qui précède était un peu décalée par rapport à d’habitude, du coup je n’ai pas pu prendre assez de vitesse, et j’ai trop forcé, l’épaule est partie trop à gauche. Mais je ne m’en fais pas, ce saut ne me pose pas de problème en règle générale, je vais travailler pour corriger ce type d’erreur.
Je marche beaucoup par déclic… j’étais en train d’écouter de la musique sur internet, quand je suis tombé sur ‘Silence de Beethoven’, et j’ai su que c’était la bonne !
J’ai commencé le patinage à 3 ans, mais au bout d’un mois j’ai tout arrêté, je ne voulais plus du tout continuer. Ce n’est qu’à 7 ans que j’ai repris, je voulais vraiment refaire du patin, j’ai dû négocier avec mes parents pendant 6 mois ! Les choses sont devenues plus sérieuses quand j’ai passé triple Salchow et triple boucle piqué et que je commençais à faire des compétitions. J’en regardais à la télévision, et je disais : ‘c’est ça que je veux faire, je veux être sur la première place du podium !’. Encore un déclic !
Auparavant, j’aimais plus les entraînements. Mais comme j’ai changé de pays entre la Suisse et la France, j’ai dû arrêter les compétitions, et j’ai compris à ce moment-là que je voulais montrer ce que je sais faire, maintenant ce sont les compétitions que je préfère.
Désormais à l’entraînement je travaille triple Axel et quadruple boucle piqué, j’adore ça, j’aime beaucoup les sauts, même si ça veut dire chuter de nombreuses fois, ça ne me fait pas peur. Les sauts sont vraiment les éléments que je préfère ; alors que le pirouettes, je n’aime pas tant que ça, mais bon, il y en a trois dans le libre, et ça peut rapporter beaucoup de points !
Ma qualité de glisse, je la dois à Jean-François Ballester, il insistait beaucoup sur la technique de base, par exemple le trois qui précède le flip, s’il est vraiment bien fait on est plus stable sur le saut, on peut avoir plus de puissance. J’ai aussi beaucoup travaillé avec lui les figures imposés, j’aime beaucoup cet aspect du patinage, j’ai assimilé que c’est avec cette base que le reste est plus facile. “

Lea Serna, sur ‘Light of the seven’ de Games of Thrones, fait comme à son habitude un très bon début de programme avec triple Lutz et triple flip en combinaison. Fait étrange, la technique de ces deux sauts est plus aléatoire quand ils ne sont pas enchaînés : carre jugée incertaine pour le triple flip, carre intérieure pour le triple Lutz, que les juges sanctionnent par des notes d’exécution négatives. Même sanction pour le triple boucle piqué, incomplet. La fin de programme est malheureusement, comme sur les précédentes compétitions, très compliqué : chute sur le premier double Axel, et le second n’est pas enclenché. Malgré tout, les dernières pirouettes de niveau maximum, et l’Axel chuté avait une grande amplitude. Léa termine 16eme avec 154.73 points, avec la 19eme place du libre, loin de son potentiel.
Léa (séchant ses larmes) :
“Je suis très déçue de mon programme, je rate encore une fois les derniers sauts, c’est la même chose à chaque compétition cette saison, je ne sais pas ce qui se passe, je n’arrive pas à gérer la fin de programme. Je n’ai rempli aucun de mes objectifs, le premier était être fière de moi. Ce n’est pas un problème de stress, car sinon les difficultés auraient été sur les premiers sauts. Ce n’est pas non plus un problème de difficultés, car le programme a été simplifié. Je n’aime pas les sauts de carre, ce sont des sauts que je ne comprends pas, donc mettre un Salchow à la place d’un double Axel, ce n’est pas forcément la solution. Placer le double Axel en début de programme ? Ca marche sur le court, mais c’est une stratégie à laquelle on n’a pas forcément pensé pour le libre, car aux entraînements tout se passe bien. Pourtant à ce moment du programme, je ne suis pas vraiment fatigué… sur le premier double Axel j’ai posé trop loin et du coup sur le saut je suis trop derrière. Je sépare chaque élément de mon programme, c’est une stratégie qui m’a sauvé plusieurs fois, mais je ne peux pas me servir de la réussite des premiers sauts.”