Euros 2020, J4 : Sinitsina/Katsalapov détrônent Papadakis/Cizeron, Stepanova/Bukin sont 3eme

C’est une révolution en danse sur glace, Gabriella et Guillaume, invaincus depuis les derniers Jeux, ne sont que 2eme des championnats d’Europe. Le titre revient à Viktoria Sinitsina et Nikita Katsalapov, qui n’étaient qu’à un cheveu de Gabriella et Guillaume après la rythmn dance. Comme aspirés dans une spirale ascendante, ils ont sorti un grand programme libre sur la musique de Dvorak ‘Songs my mother taught me’. Rapides, précis, presque aérien, je n’étais pas emballé par la fin de leur danse au début de saison, ce soir tout était beaucoup plus lié. Avec la meilleure note technique sur le libre, ainsi que les meilleures composantes (pour 0.04 points), ils empochent 220.42 points et gagnent leur premier titre majeur.
« Cette musique nous inspire, notre libre raconte l’histoire de quelqu’un de désespéré, qui heureusement rencontre une autre personne qui lui montre qu’il y a encore de l’espoir. Cela nous aide beaucoup pour renforcer la connexion qu’il y a entre nous, et avec le public. On est vraiment très content de ce titre, pouvoir concurrencer Gabriella et Guillaume nous semblait impossible, on a travaillé énormément pour y arriver ».

Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron sont montés sur glace toute de suite après les Russes. Le slam poétique de ‘Find me’ est toujours un régal de fluidité, alternant les mouvements lents puis saccadés, parfois proche de la rupture. Pas de grosses erreurs, mais les notes se font attendre, ce qui n’est jamais bon signe, les contrôleurs techniques revoient certains niveaux ? Le verdict tombe : c’est la 2eme place du libre avec 19 centièmes de retard sur Viktoria et Nikita, c’est donc la médaille d’argent à 0.16 points près. L’élément où ils ont perdu le plus de points est la suite de pas, de niveau 2 seulement pour Gabriella. Leurs notes d’exécution sont meilleures, mais ne compensent pas la différence de points, sachant que les composantes sont également en faveur des Russes. Les protocoles seront sûrement disséqués en détail, mais il faut toujours tout comparer, car si le 9.00 en transition de la part du 3eme juge peut paraître un peu sec, il a donné 8.75 aux Russes (si intéressé, regardez tout en bas). Ca s’est joué d’un rien, c’est la loi du sport !
Gabriella : « c’est sûr, on est déçu ne de pas avoir gagné ici, on est compétiteur avant tout ! Mais c’est très important pour nous également ressortir de glace en étant content de nous et d’avoir pu créer un moment particulier sur la glace. Ces deux aspects s’équilibrent pour nous. »
Guillaume : « Dans la rythmn dance on a fait quelques erreurs, là dans le libre on sait qu’on a laissé quelques petits points dans le programme, mais qu’on en a sauvé également beaucoup. Les points perdus ne l’ont pas été sur des éléments qu’on aurait changés, c’est plus un manque de précision à certains moments. On est quand même très satisfait de notre programme libre. On a entendu les notes de nos prédécesseurs en entrant sur la glace, mais ça ne veut pas dire grand-chose pour nous, je serai incapable de vous dire combien de points on a obtenus ! Le seul résultat qui nous parle vraiment c’est la petite note en bas à droite de l’écran qui indique le classement. Et non, on n’est pas du tout au courant de ce qui a pu se dire pendant la réunion des juges [il leur aurait été recommandé de ne pas mettre trop de 10], ce sont nos entraîneurs qui gèrent tout ça. »
Gabriella : « Cette médaille d’argent, c’est une médaille en plus, ce n’est pas vraiment ça que je garde comme souvenirs d’une compétition. Je me souviens très bien de nos programmes, de ce qu’on a pu construire, la relation avec le public, … c’est le plus important pour moi ! Mes médailles sont chez ma mère, je n’en ai aucune chez moi !  »
Guillaume : « on sait que personne n’est imbattable, c’était très serré après la rythmn dance, on savait qu’on devait faire le moins d’erreurs possible. On va retourner s’entraîner pour gommer les imprécisions en vue des mondiaux, c’est sûr ça nous motive. Tout au long de la compétition on a pu échanger avec les autres patineurs de l’équipe de Montréal, avec les autres patineurs français, avec la fédération, on est très bien entourés. Je vous rassure on ne sera pas tout seuls à pleurer dans notre chambre d’hôtel ce soir ! »

Remontant également d’une place, Alexandra Stepanova et Igor Bukin empochent le bronze après l’argent de Minsk l’année dernière, c’est un carton plein pour l’équipe russe ! Ils ont il est vrai patiné un bon programme sur le thème de ‘Cry me river’ de Justin Timberlake. Ils arrivent maintenant à dégager une émotion assez intéressante. Alexandra récolte elle aussi un niveau 2 sur la suite de pas, mais tout le reste étant niveau 4, ils ont une base technique supérieure à celle des Français. Avec 211.29 points ils améliorent leur meilleur score obtenu au NHK cette année.

Passant plus ou moins inaperçus après Gabriella et Guillaume, Charlène Guignart et Marco Fabbri avaient pourtant à défendre leur médaille de bronze obtenu l’année dernière. Ils se sont bien battus sur les musiques de David Bowie, dont ‘Life on Mars’, Charlène ayant d’ailleurs un maquillage tout à fait extraterrestre. Ils ne récoltent cependant qu’un maigre niveau 1 sur la suite de pas en diagonal, pour finir avec 205.58 points.

A la cinquième place avec 192.34 points, Lilah Fear et Lewis Gibson ont réveillé le public sur leur medley de musiques de Madonna, dont le ‘Vogue’ utilisé en début et en fin de danse, ‘Like a prayer’ venant s’intercaler dans la partie plus lente. Plein d’idées, comme quand Lewis fait mine de prendre des clichés de Lilah, ils auraient pu encore plus pousser l’interprétation du vogueing avec plus de mouvements de bras dans la première partie. Danse très agréable en tout cas, Lilah et Lewis sont en progrès et font une bonne saison.

Ils devancent Tiffani Zagorski et Jonathan Guerreiro, 6eme avec 188.03 points, avec une danse libre énergique sur ‘Survivor’, tirée de Tomb Raider.

Dans la suite du classement, j’ai particulièrement apprécié la danse d’Olivia Smart et Adrian Diaz, sur ‘Micmac à tire-larigot’. Mélange de Pierrot lunaire et de marionnettes, tout en douceur, avec des points d’humour quand Diaz, accroupi sur la position de départ, fait mine d’actionner un cric pour se déplier, pour ensuite enchaîner directement sur le porté rotatif où Olivia est assise sur ses genoux. Ils terminent 8eme avec 183.12 points, tout juste derrière leurs compatriotes Sara Hurtado et Kirill Khaliavin, 7eme avec 185.84 points, qui ont présenté une version assez tourmentée du flamenco.

Dur dur pour moi de départager les deux autres couples français…

D’un côté une version revisitée de Carmen pour Adelina Galyavieva et Louis Thauron , où, selon les dires mêmes d’Adelina, ils se démarquent jusque dans le choix du costume, sans fleur, sans couleur rouge. La robe d’Adelina est vert-bleu, avec une coupe graphique. Leur chorégraphie moderne amène un petit vent de fraîcheur sur un thème archi-entendu ; c’est très bien vu car quand on s’attaque à ce thème dans une patinoire, il faut pouvoir faire la différence ! Gros progrès pour Adelina et Louis, avec des notes peut-être un peu basses, ils terminent la compétition avec 105.30 points et la 12eme place. Mention spéciale pour la séquence de pas sur la partie lente de la musique, qui ressort aujourd’hui par sa fluidité.

Passant juste derrière leur compatriotes, Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud patinent dans un tout autre registre, le ‘Tron legacy’ déjà entendu hier sur le programme libre de Pavliuchenko/Khodykin. Rapides, toujours très précis, surtout sur les twizzles, parfois les idées les plus simples sont les plus belles, j’aime par exemple le grand dehors jambe tendue, parfaitement parallèle, effectué en bout de piste au début du programme. La fin pourrait également être plus explosive, mais les rythmes lents génèrent une impression de maîtrise contenue, presque de frustration, qui n’est pas inintéressante. Ils sont 15eme avec 165.22 points pour leurs premiers championnats d’Europe.

N’oublions pas dans l’équation des championnats du monde, Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac, qui après un début de saison en demi-teinte sont toujours à l’entraînement et motivés pour poursuivre leur saison. Ils seront en compétition à distance avec Galyavieva/Thauron début février : Marie-Jade et Romain au Bavarian Open d’Oberstdorf les 8 et 9 février, Adelina et Louis à l’Egna Dance Trophy en Italie, aux mêmes dates.

Pour la petite histoire, je vous propose de comparer les notes de Sinitsina/Katsalapov et Papadakis/Cizeron entre la Finale du Grand Prix de décembre, et de ces championnats d’Europe (pour ceux à qui les mathématiques donnent la migraine, fin de lecture conseillée !).

Même s’il est toujours malaisé de comparer deux compétitions différentes, celles-ci ont l’avantage d’être proche dans le temps, les programmes n’ont que peu changé, ce que le visionnage simultané des vidéos des deux compétitions confirme.
Côté officiels, les paramètres sont quasiment tous différents : entre juge arbitre, contrôleurs techniques et juges, seule la juge polonaise a officié à Turin et Graz, c’est le seul point commun, et donc uniquement indicatif car l’échantillon est trop faible statistiquement pour être représentatif; il reste tout de même un exemple, à considérer avec circonspection donc (juge 1 sur les protocoles de Turin, juge 8 sur les protocoles de Graz).

Commençons par Viktoria et Nikita.
Leur libre de Turin a été entaché du fait que leur dernier élément, la suite de pas chorégraphique, a comporté un élément (le passage sur les genoux) considéré comme une chute. Le niveau de base ne change pas, mais ils ont récolté un point de déduction pour chute, et des notes d’exécution négatives sur cet élément. Ce n’est pas le cas à Graz; l’impact est donc important car ils gagnent beaucoup plus de point sur cet élément.
=> Au niveau élément technique :
– La suite de pas sur un pied passe de niveau 3 à 4 pour Viktoria
– Le porté rotatif passe de niveau 3 à 4
– La pirouette combinée passe de niveau 2 à 4
– La note technique de base passe donc de 43.59 à 46.21 points (gain de 2.62 points, pas d’impact de la séquence de pas chorégraphique).
– Les notes d’exécution passent de 22.43 à 27.34 (gain de 4.91 points), pour une note technique finale qui passe de 66.02 à 73.55 (gain de 7.53 points).
Sans compter l’impact de la séquence de pas finale chutée/non chutée, qui biaise la comparaison, et qui à Graz leur rapporte +3.22 points par rapport à Turin, la note technique finale gagne 4.31 points (dont +1.69 points sur les notes d’exécution).
=> Au niveau des composantes :
– Les composantes passent de 56.86 à 58.14 (gain de 1.28 points).
– Le nombre de 10 en composantes passe de 0 à 10.
=> Au total :
La note totale passe de 121.88 à 131.69 points, soit +9.81 points.
En omettant la fameuse suite de pas et le point de déduction, la note totale du libre gagne 5.59 points (ce qui est biaisé, car le fait de compter une chute à Turin a pu influencer négativement d’autres éléments de notation comme les composantes : sans la chute, les juges auraient peut-être également noté plus favorablement les skating skills, par exemple).
=> Pour la juge polonaise :
Entre Turin et Graz, la juge polonaise donne des notes d’exécution de 33 et 41 respectivement (35 et 37, sans compter la séquence de pas, qui récolte -2 à Turin, puis +4 à Graz), et des composantes de 48 et 48.50 points.
Attention, comparaison à détailler encore un peu plus, car les notes d’exécution individuelles de chaque juge sont multipliées par un facteur qui dépend de l’élément noté (un +5 sur le porté en ligne droite ne se traduit que par une GOE finale de +2.29), et également, les composantes attribuées individuellement sont multipliées par un facteur 1.2. Ainsi, les composantes de la juge polonaise augmentent de 0.50 points, ce qui se traduit sur la note finale par 0.50 x 1.2 = +0.6 points (elle note donc un peu plus sèchement que l’ensemble du panel, qui note à +1.28 points).
En conclusion : Viktoria et Nikita ont bien mieux patiné à Graz qu’à Turin, ou en tout cas ont récolté de bien meilleures notes, que ce soit en technique (niveau de base augmenté, notamment la pirouette combinée qui gagne 2 niveaux) que sur les composantes (+1.28 points). La grosse augmentation de la note totale est biaisée par la suite de pas chorégraphique, avec une chute à Turin, bien réussie à Graz, mais même sans cet élément la progression est importante. La seule juge présente aux deux compétitions confirme cette bonne performance.

Pour Gabriella et Guillaume :
=> Au niveau élément technique :
– La suite de pas sur un pied passe de niveau 3 à 2 pour Gabriella, les autres éléments étant identiques
– La note technique de base passe donc de 45.84 à 45.46 (-0.38)
– Les notes d’exécution passent de 30.91 à 27.94 (-2.97), pour une note technique finale qui passe de 76.75 à 73.40 points (-3.35 points)
=> Au niveau des composantes :
– Les composantes passent de 59.27 à 58.10 (-1.17)
– Le nombre de 10 en composantes passe de 24 à 8
– Deux notes de transitions de 9.00 à Graz, contre aucune inférieure à 9.50 à Turin : une par le juge 3 (qui note assez bas : 8.75 pour Sinitsina/Kastalapov, 8.25 pour Stepanova/Bukin), une par le juge 9 (qui estime Gabriella et Guillaume en deça de Viktoria et Nikita : 9.50, et Aleksandra et Igor : 9.25)
=> Au total :
– La note totale passe de 136.02 à 131.50 (-4.52)
=> Pour la juge polonaise :
Les notes d’exécution passent de 44 à 39, et les composantes de 48.75 à 48.25.
En conclusion : le libre Gabriella et Guillaume a été jugé sensiblement équivalent en technique, mais surtout bien moins patiné (quasiment 3 points de moins sur les notes d’exécution), avec également un fléchissement des composantes; le tout est confirmé par les notes polonaises, qui semble moins sévères que l’ensemble du panel sur les composantes.

Dans l’ensemble, je suis assez d’accord avec l’impression générale : Viktoria et Nikita ont semblé vraiment boostés par les notes tellement proches de la rythmn dance, et ont très bien patiné. Ils ont donc très bien tenu la pression du titre qui leur tendait les bras; du coup, je me demande comment ils auraient géré le fait d’être en tête, s’ils avaient eu 0.06 points de plus sur la rythmn dance… la position de favori inattendu est souvent assez complexe à appréhender. Gabriella et Guillaume m’ont semblé plus tendus, mais ce n’était peut-être que projection de mon sentiment personnel du moment, car si à Turin on les savait intouchables, sur le libre à Graz les résultats de la rythmn dance laissait envisager la suite des événements, d’où un moment moins serein. Après, l’amplitude des différences entre Turin et Graz peut toujours se discuter : est-ce que Viktoria et Nikita ont vraiment beaucoup mieux patiné qu’à Turin, Gabriella et Guillaume étaient vraiment moins bon à Graz ? Je vous laisse juge…