Alexandre Hamel, fondateur du Patin Libre, explore la glisse

Rencontre avec Alexandre Hamel, le fondateur de la troupe ‘Le Patin Libre’, à l’issue du spectacle ‘Threshold’ donné à Asnières en juin 2019.

D’où est venue l’idée de monter la troupe du Patin Libre ?
C’est venu d’un sentiment de rébellion quand j’ai arrêté ma carrière de patineur solo, à 23 ans en 2005. J’ai patiné ensuite dans des shows comme Disney on Ice pendant 1 an, puis je me suis rendu compte qu’autour de moi il y avait d’autres patineurs qui ne se retrouvaient pas dans les codes du patinage tel qu’on le voyait et dans le formatage qu’on avait connu en tant que compétiteurs. Plusieurs patineurs avec qui je m’entraînais ont d’ailleurs complètement coupé les ponts avec la glace.

On s’est rencontré avec d’autres patineurs et on a commencé à monter des petits spectacles qu’on a proposés dans les carnavals d’hiver au Québec. Au début c’était surtout des acrobaties, inspirées du rock acrobatique, ça durait 5-10 minutes. Puis on s’est dit qu’on pouvait monter nos propres chorégraphies, on a crée le collectif.

Comment montez-vous les chorégraphies ?
C’est un travail collectif, nous n’avons pas de chorégraphe extérieur, tout vient de nous.

On essaie des mouvements, quand un geste nous plaît, on le garde. On avance ainsi à très petits pas, le processus pour créer toute la chorégraphie est très long ! Monter un programme peut nous prendre 2- 3 ans. Parfois la première mouture ne nous convainc pas forcément, mais on sent qu’il peut y avoir quelque chose, alors on demande au patineur de continuer à explorer dans la voie qui s’ébauche.

On progresse ainsi petit à petit dans notre démarche de création et d’exploration, qui est avant tout basé sur la glisse. C’est l’essence même du patinage ! On ne veut pas de pastiches, il y en a déjà tellement… La danse sur glace pastiche le ballroom, avec ses valses, ses tangos… Holiday on Ice est quelque part une copie glacée du Lido. Les programmes de compétition se ressemblent souvent assez. Même maintenant le Cirque du soleil se pastiche lui même avec son propre spectacle sur glace. A nos tous débuts on a essayé de s’inspirer du cirque contemporain, qui aurait pu être notre version du pastiche, mais ça ne marchait pas. On a rapidement compris qu’il fallait qu’on explore notre propre voie.

D’où vient la musique, qui colle parfaitement à vos évolutions ?
La musique, elle, vient de Jasmin. Il est violoncelliste classique et également DJ, et a créé notre musique de toute pièce, en parallèle avec le montage de la chorégraphie ; il y a beaucoup d’aller-retours entre l’atmosphère qu’il nous apporte et les mouvements que l’on crée tous ensemble.

D’ailleurs au début Jasmin n’était pas avec nous sur glace. Quand on était en résidence à Auxerre, on le voyait le soir mettre ses patins de hockey et aller en séance publique. On l’a vu faire des choses intéressantes, du coup on l’a incorporé dans le spectacle ; il continue à progresser, c’est chouette.

Justement, comment tenir compte dans la chorégraphie qu’il y a une paire de patins hockey et quatre paires d’artistiques ?
La plupart des figures se font très bien avec des patins d’artistique comme avec des patins de hockey. Après c’est vrai que quand on se retrouve entre nous, les 4 artistiques, à un moment où Jasmin reste sur le bord de la patinoire, on pousse à fond les possibilités que nous offrent les pointes. Sinon quasi tout est identique.

Puisque le montage d’un spectacle est aussi long, comment faîtes-vous pour vivre ? Le public vous a-t-il suivi rapidement ?
Le public est venu petit à petit voir nos spectacles, et le bouche à oreille a bien marché ; désormais nous avons un agent. Et puis on avait toujours des programmes plus acrobatiques qu’on pouvait présenter, où on fait aussi des backflips, ce genre de choses. Cela permet de rentrer un peu d’argent, pour continuer à monter les chorégraphies.

Aujourd’hui on gagne bien notre vie, on est peut-être les professionnels les mieux payés, mais ça n’a pas toujours été le cas. Au début j’ai vécu dans une camionnette ! Ce n’est pas forcément évident tous les jours, mais on peut vivre sans trop d’argent, on peut partager un appartement à plusieurs par exemple. Ce n’est pas le mode de vie de monsieur tout le monde, évidemment, par exemple je ne suis pas propriétaire, c’est sûr ! Notre mode de vie est plus proche d’une vie de bohème, c’est un peu particulier. Il faut être prêt aussi à ne pas avoir de vie de famille.

Et qui dit spectacle sur glace dit de nombreux entraînements sur une patinoire, et l’heure de glace peut être un budget en soi…
Au Québec il y a les étangs gelés l’hiver, et également beaucoup de patinoires. En France, on peut aussi trouver ces fameuses heure de glace, car hormis les scolaires, en semaine les patinoires sont plutôt vides dans la journée. Et on ne demande pas simplement du temps pour travailler notre spectacle, on propose un véritable échange entre notre troupe et la patinoire. On fait des ateliers, des animations en séances publiques, des initiations avec les scolaires, tout ceci rétribué en heures. Et ce contact avec les gens, c’est super intéressant. Il ne faut pas oublier que chaque minute passée sur la glace est un privilège.

Une patinoire, ça coûte très cher à entretenir. Le citoyen ne se préoccupe pas de savoir que la patinoire du quartier a servi de lieu d’entraînement à un champion olympique. Mais que celui qui habite juste à côte puisse venir à la patinoire, découvrir, s’amuser, et danser sur la glace, oui ça, ça l’intéresse. C’est cette personne que je veux faire venir dans la patinoire. Après tout c’est lui qui habite à côté, c’est lui qui devrait pouvoir en profiter également. Et une séance tournée vers la découverte de la glace, en attirant du monde, peut être également rentable. Bien sûr, les heures de glace sont souvent un enjeu tendu dans les clubs, entre les artistiques, le hockey, etc… mais il faut de tout ! Et s’il n’y a pas un retour plus important vers la communauté, vers les citoyens, dans 20 ans il n’y aura plus rien.

Justement, avant votre spectacle vous avez proposé un atelier… était-ce également pour recruter de nouveaux patineurs ?
Non, les ateliers comme ceux de l’après midi, c’est pour enseigner notre technique, notre façon de faire, qui est assez simple.

Pour contre oui, nous sommes en phase de recrutement pour notre prochain spectacle, où on sera 15 sur la glace. C’est tout nouveau pour nous, on explore toujours ! Ce qu’on recherche avant tout chez un patineur, c’est la virtuosité technique, et aussi l’intelligence du corps ; il faut que le patineur ou la patineuse puisse s’approprier les mouvements rapidement. D’un autre côté, il faut aussi être prêt à s’engager dans l’aventure : comme pour ce spectacle-ci, il va falloir beaucoup de temps pour monter le spectacle, temps pendant lequel il n’y a que peu de revenus, pas de vie de famille, et après on part en tournée !

Savez-vous s’il y a d’autres troupes comme vous ?
A ma connaissance, pas vraiment. Mais on suit de très près ce qui se passe, on est toujours très intéressé par les nouvelles découvertes.

Avec la maturité que le Patin libre démontre sur ce spectacle notamment, avez-vous eu des demandes de chorégraphies par des patineurs, ou par des danseurs ‘sur parquet’ ?
Non, nous n’avons pas eu ce type de demandes. Et de mon côté, je ne me sens pas assez stable psychologiquement pour lancer un projet contemporain.

Dernière question : les championnats du monde de patinage artistique et de danse sur glace seront cette année à Montréal… Ne serait-ce pas l’occasion rêvée d’y voir le Patin libre, en représentation ou en démonstration, sur la glace de la compétition ou à côté?
Pourquoi pas ! Je peux seulement vous dire que notre agent a lancé les idées, mais pour l’instant nous n’avons pas de retours.