Le Patin Libre : une nouvelle couleur à la palette du patinage

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Difficile de décrire le spectacle du Patin Libre, qui est venu pour plusieurs représentations en région parisienne au milieu du mois de juin dernier.

Ce n’est pas du patinage artistique, de la danse sur glace, du patinage synchronisé, du ballet sur glace, du patinage freestyle, du patinage de vitesse, du hockey, ni Holiday on Ice… ou plutôt c’est un peu de tout ça, forcément, car l’élément en commun est la glace, qui impose ses contraintes de déplacements et de pas, mais c’est bien plus encore.

Patinage contemporain ? Danse contemporaine sur glace ? Chorégraphie moderne patins aux pieds ? J’aurai tendance à dire : de la danse contemporaine, et il se trouve que c’est sur de la glace. La réunion des deux est inédite, et c’est ce qui est fait un mélange intéressant, rafraîchissant, une formidable ouverture vers d’autres possibilités de création. Autant au niveau des sports de glace, mais aussi de la danse contemporaine, qui se trouve enrichie de la glisse, des déplacements immobiles des danseurs dès lors qu’ils ont un peu de vitesse.

Oubliez les règles, les structures, les cadres qu’on l’habitude de voir dans une patinoire. Pas de twizzles, pas de contraintes d’éléments techniques à exécuter parce qu’ils rapportent plus de points. Pas d’éléments imposés comme les sauts ou les pirouettes, qui sont obligatoires en compétition, et qu’on attend toujours dans les galas. Pas de strass ni de paillettes, pas d’expressions faciales surjouées. Et pas de contrainte de temps, de tout faire en quelques minutes à l’intérieur d’un programme, ou en quelques secondes afin d’éviter une déduction pour porté trop long.

Non, simplement une chorégraphie intitulée ‘Threshold’ qui s’écoule pendant une heure, qu’on ne voit pas passer, pendant laquelle évolue cinq danseurs-patineurs*. Une fille, quatre garçons, quatre paires de patins artistiques, une paire de hockey… des tenues simples, plutôt près du corps chez certains, mais également un peu plus amples chez d’autres.

Une chorégraphie plutôt lente, parfois accélérée, souple, presque désarticulée, parfois en solo, parfois en groupe qui se sépare et se reforme, qui passe de duo à trio, puis à quartet, ou simplement tous les patineurs ensemble. A l’unison, ou presque, comme dans le mouvement pendulaire sur des citrons avant-arrière, mouvement simplissime s’il en est mais réinterprété, avec une légère dissonance qui s’accentue chez un patineur, qui sort du rythme, pour retrouver ensuite le mouvement d’ensemble du balancier.

Sur des tours de piste, quand les patineurs accentuent les mouvements de balanciers des bras, on ne peut s’empêcher de penser aux patineurs de vitesse, à la différence que le mouvement est ici repris pour être intégré dans la chorégraphie. D’ailleurs, la question se pose si ce geste n’est quelque part pas inhérent à ce type de déplacement sur glace, et si la chorégraphie ne devait donc pas forcément le traiter comme geste inévitable. Et le tour de piste s’arrête en freinage sec, et là on repense au hockey.

Et puis, par moment le geste s’arrête, plus rien ne bouge, la musique s’efface. Petit moment suspendu où il ne se passe rien, en apparence du moins, car l’émotion se dilue doucement, pour repartir ensuite. Ce genre de moment qu’on ne voit jamais dans une patinoire. La musique reprend, assez grave, organique, inédite, car composée pour l’occasion.

Côté technique, l’oeil averti ne peut pas ne pas remarquer le double Axel ou des twizzles très rapides. Au moment où je me fais la réflexion sur l’absence de porté, un voici un quelques secondes plus tard. Encore faut-il déconnecter le mot ‘porté’ de sa signification habituelle… ‘co-évolution soutenue deux patineurs’ (faudrait-il alors réécrire un vocabulaire pour décrire les gestes chorégraphiques ?) En tout cas tout ceci est, encore une fois, intégré dans la performance, et rappelle la virtuosité technique des danseurs : pour arriver à ce niveau là d’interprétation et de ressenti, il faut n’avoir aucun doute de ce qui se passe au niveau des pieds et du reste du corps d’ailleurs.

A la fin de la représentation, je quitte l’ambiance tamisée de la patinoire avec la sensation que le Patin Libre ouvre tant de nouvelles possibilités… qui en fait ont toujours été là, mais qu’on a peut-être oubliées, ou en tout cas qui n’avait pas été défrichées jusque là.

Le patinage nécessite une telle précision qu’il faut de toute façon passer par l’apprentissage rigoureux de la technique. Les programmes de compétition ont ensuite leur cadre bien précis, les numéros de gala sont plus libres mais de toute façon assez courts, et souvent montés assez rapidement. Le ballet est peut-être la discipline qui pourrait s’en rapprocher puisque le programme libre n’a aucune contrainte… en théorie, car là encore porté, sauts, pirouettes et éléments techniques sont valeurs ajoutées.

Je pense au style particulier qu’apportent Gabriella et Guillaume, au splendide ballet libre de Villard-de-Lans senior cette année… mais la démonstration de la soirée est la preuve que la danse contemporaine transposée sur la glace, ça fonctionne également.

Et le public semble prend à franchir le pas vers cette nouvelle destination, qu’on ne s’attend pas forcément à trouver dans une patinoire, car toutes les trois cents et quelques chaises installées sur les petits côtés de la glace étaient occupées. Petit bémol pour la pause technique de ravitaillement qui coupe la prestation, peut-être faudrait-il un rideau ? De même les fumigènes ne m’ont pas semblé tout le temps nécessaires.

Je repars de la patinoire avec une multitude de questions… sur la glace, la glisse, la création artistique, la nécessité ou non d’avoir des règles, si celles-ci sont un frein ou non à la création, … Ai-je aimé ? La démarche, complètement. Pour le patinage en lui même, j’ai simplement essayé de ressentir le moment présent, sans essayer de chercher un sens à chaque mouvement.

Cela reste une expérience artistique qui nous emmène hors de notre zone de confort, de ce qu’on a l’habitude de voir à longueur de saison. Une grande bouffée d’air frais, de complète nouveauté, qui ouvre l’esprit. Et ne serait-ce que pour ça, je ne peux que le vous le conseiller, si par chance ils ne passent pas loin de chez vous. Si vous êtes partant pour quelque chose d’inhabituel, pour une autre facette de ce qui peut se faire sur glace, l’expérience du Patin Libre est faite pour vous, un espace de totale liberté… comme son nom l’indique !

* La troupe du Patin libre pour ‘Threshold’ est composée de Alexandre Hamel, Pascale Jodoin, Samory Ba, Jasmin Boivin et Taylor Dilley