Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon : portrait (2/2)

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Le parcours exceptionnel de Gabriella et Guillaume a dû vous amener beaucoup de monde ?
Marie-France : Après les très bons résultats de l’année dernière, nous avons eu effectivement beaucoup de demandes de patineurs qui voulaient venir avec nous… mais on ne pouvait ni ne voulait dire oui à tous. On a discuté avec les patineurs, on a chercher à savoir pourquoi ils voulaient vraiment venir avec nous, pas uniquement parce que nous étions ‘la saveur du mois’. On veut augmenter le centre à petite dose, et finalement on n’a pris que 2 nouveaux couples. On vit dans le présent mais avec une vision a long terme.
Après, on devra apprendre à déléguer.
En ce moment Patrice est debout à 5 heures du matin tous les jours pour être d’attaque sur la glace de 7h jusqu’à 17h ! Mais ce n’est pas un sacrifice, on s’attache aux patineurs, on a par exemple une petite patineuse de 10 ans, on voudrait la suivre jusqu’au bout ! Même si on sait qu’on ne pourra pas faire ça pendant des années et des années, pendant une dizaine d’années peut-être. L’idée est que quand on arrête, le centre puisse continuer sans nous.
Comment avez-vous fait pour monter un programme aussi sublime que le libre de Papadakis/Cizeron la saison passée ?
Marie-France : Un programme comme la danse libre sur Mozart pour Gabriella et Guillaume, tu ne peux pas essayer avant d’avoir essayé, tu fais de ton mieux, et avec un peu de chance et de poudre de fée, la magie vient naturellement !
Gabriella et Guillaume n’était pas un de nos couples, mais Murielle et Romain nous avait demandé à la fin de la saison 2013 de monter leur chorégraphie.
J’ai commencé par beaucoup les analyser aux mondiaux à Tokyo, j’avais l’impression très nette qu’ils étaient arrivé à un point où ils pouvaient être magnifiques ou catastrophiques : ils avaient été de très bon juniors, leur passage chez les seniors était bon sans être exceptionnel ou sensationnel. Je me demandais ‘qu’est-ce qui leur manque ? Qu’est ce que les gens veulent voir quand ils les regardent patiner ?’ J’ai laissé parler mon instinct, je savais ce que j’avais envie de voir chez eux.

Ensuite, je les ai invité pour un séminaire de flamenco, où j’ai continué à les analyser, à discuter avec eux. L’idée de musique était déjà là, l’idée de s’inspirer du Parc aussi, mais il manquait quelque chose. J’ai beaucoup cherché, petit à petit, pour trouver la petite pièce qui manquait pour donner toute sa force à l’adagio, qui en lui-même peut être assez fade. Après avoir écouter six albums, j’ai trouve LA musique d’une minute au milieu du programme qui sublime tout, et j’ai su quand j’ai trouve que c’était ça qu’il fallait.
L’écoute musicale avec Gabriella et Guillaume a été très rapide : 4 minutes ! On a tous écouté une fois, et c’était bon. Le libre a été monté en 5 jours. Hors glace ils ont beaucoup travaillé le théâtre : face a face ils se regardaient mais n’était pas connectés, il a fallu du temps pour abaisser les barrières.
Le programme a très peu changé en cours d’année, ce qui est assez rare. Quand on arrive à une petite merveille comme ça, quand les émotions sont bien placées, pas la peine de changer quoi que ce soit. C’était un gros travail de recherche émotionnelle, j’avais envie d’une lecture multiple, différente du programme selon les gens.

Etre derrière la rambarde, est-ce plus ou moins difficile que de patiner soi-même ?
Marie-France: C’est surtout très stressant !
Patrice : de mon côté je suis plus zen, car je pense qu’on a aidé les patineurs à se préparer, on leur a donné tout ce qu’on pouvait, et même si on souhaite qu’ils fassent de belles choses, qu’ils réussissent ou non n’est plus de notre ressort.

Vous avez des patineurs de beaucoup de nationalité différente, cela se traduit-il par une approche différente ?
Marie-France : C’est sûr, on a beaucoup de pays dans le centre (France, Canada, USA, Danemark, Espagne); pour chaque couple de danseur l’approche est forcément différente, mais ce n’est pas en fonction de la nationalité spécifiquement, car de toute façon tous les patineurs sont différents.
Patrice : c’est moi qui gère le planning, j’essaie de faire en sorte que le pic de performance soit le mieux placé possible. Mais il n’y a pas de recette miracle, et les patineurs sont tous différents : on essaie, on ajuste. Je gère la partie physique, je vois aussi quel entraîneur sera le mieux indiqué pour telle partie technique ou chorégraphique pour tels patineurs. C’est pareil pour les compétitions, on sent qui sera le mieux pour accompagner tel couple.
Ce n’est pas vraiment aussi simple que de dire que la partie technique est pour Patrice et Marie-France s’occupe des chorégraphies. Il ne faut pas oublier Romain également ! Entre nous, chacun est assez fort pour faire toutes les parties, même si chacun a sa prédominance, qu’on exploite au mieux.

Marie-France : Par contre pour les règlements ISU et les changements annuels, c’est Patrice qui s’y colle, il le faisait déjà quand il était patineur ! Romain est fort sur ce point également.
Mais nos traits de caractères sont là depuis longtemps : quand il était petit, si Patrice recevait un camion en cadeau, il commençait par le démonter pour le remonter pour comprendre tout en détail; il est donc très fort dans tout ce qui est organisation, architecte des programmes, …
De mon côté comme je vous l’ai dit, j’ai tout le temps su que je serai danseuse (et ma fille est pareille). Cela ne s’improvise pas, j’ai pris des cours, j’ai aussi eu la chance d’avoir des parents qui ont été ouverts à ça, car ils travaillaient tous les deux dans le monde de la banque ! Personnellement j’aime bien la danse contemporaine, dans le fond j’aime tout style ou langage corporel, dans lequel on peut se retrouver, qui ne propose pas de lecture unique.

De ce point de vue, la glace n’est-elle pas un facteur limitant, les rotations ne pouvant se faire par exemple qu’avec certains angles… ?
Marie-France : pour nous la glace pas n’est pas moins riche chorégraphiquement, même s’il y a certaines limitations on bénéficie de points positifs comparé au parquet, on a la vitesse, les accélérations !
Patrice : nos amis danseurs nous envient, car quand le patineur veut rejoindre la danseuse, il pousse une fois, et c’est bon, il n’a pas besoin de faire plusieurs pas !
Marie-France : des envies de chorégraphier pour de la danse hors glace ? Non, on cherche déjà à pousser notre sport au maximum de ce qu’on peut faire, on ne veut pas repartir à zéro ! (rires)

Avez-vous déjà les programmes de Gabriella et Guillaume pour la saison prochaine ?
Patrice : Pour Gabriella et Guillaume, la short danse est ok, il reste bien sûr quelques retouches et améliorations mais c’est prêt.
Pour la danse libre, on avait la musique, mais Marie-France s’est dit qu’il fallait mieux la garder pour plus tard, c’est plus une musique de JO !
Marie-France : Gabriella et Guillaume sont d’accord, ce sera encore mieux pour eux quand ils auront plus de maturité. Mais ça ne veut pas dire que le programme est non-existant, on a travaillé tout un stock de pirouettes et de portés… Par exemple, il ne faut que 4 portés, mais il y en a déjà une douzaine d’opérationnels. On a déjà placé les éléments techniques. Il reste la bonne musique et la chorégraphie pour relier tout ça. Et un peu de poudre de fée !