Plushenko, Lysacek et Takahashi à la lutte, Joubert en perdition

La compétition messieurs s’est ouverte cette nuit sur de grosses surprises, entre les patineurs qui sont au rendez-vous et ceux qui sont passés au travers. Evgeni Plushenko mène le bal, de peu devant Evan Lysacek et Daisuke Takahashi.

Au vu du nombre de prétendants au podium olympique, ce programme court promettait beaucoup : entre confirmations, surprises et déceptions, le spectacle a largement répondu aux attentes. En tête, un trio s’est détaché assez nettement : moins d’un point sépare Evgeni Plushenko, Evan Lysacek et Daisuke Takahashi.

On attendait beaucoup du Russe, récent vainqueur du championnat d’Europe. Toujours aussi souverain sur les sauts, très convaincant sur le plan athlétique, il s’est montré à la hauteur de l’enjeu. Ni plus, ni moins … Et si l’on peut encore une fois tresser des louanges au sportif pour avoir su gérer son retour à la compétition et retrouver un niveau impressionnant, les insuffisances sont également évidentes. Sans construction de programme, sans intention musicale, ses objectifs sont remplis une fois les éléments-sauts complétés. Plushenko fait le nécessaire, en estimant qu’il n’a pas besoin de montrer un profil de patineur complet pour l’emporter. Sa stratégie est connue, mais on ne peut s’empêcher de la regretter. Si la note technique de Plushenko est logiquement élevée, il faut tout de même noter qu’il a été légèrement sanctionné sur le plan des composantes, notamment au niveau des transitions. Pas de passe-droit donc pour le champion olympique sortant, et s’il est en position idéale pour l’emporter, il devra se méfier d’une concurrence ambitieuse. Rien à voir avec le succès de 2006 à Turin, où le programme court avait déjà mis fin à tout suspense. Solide sans être irrésistible sur le libre cette saison, Plushenko n’aura guère de marge de manoeuvre, même s’il bénéficiera de l’avantage de patiner en dernière position. Parfois friable, dans les récentes compétitions, en seconde partie de programme, il ne pourra probablement pas se permettre d’assurer. Même si, comme à son habitude, il cherchera à forcer la décision dès la première minute.

On retrouve en seconde position Evan Lysacek, qui a fait honneur à son statut de champion du monde en titre. Si l’on peut lui reprocher un style uniforme quelque soit le discours musical, et une gestuelle désordonnée qui vire bien souvent à l’excès, force est de constater que ces réserves passent au second plan tant il a patiné avec fièvre et intensité. Il montre qu’il est un redoutable compétiteur, en ayant pu donner le meilleur de lui-même dans ce moment si important. L’essentiel pour lui désormais est de bâtir une stratégie pour le libre. Avec un dilemne : quadruple saut ou non ? Il a chuté lors de son unique tentative cette saison, au championnat des Etats-Unis, et cette débauche d’énergie pourrait lui coûter cher. Très régulier sur une base technique à huit triples, il sait cependant que cela pourrait ne pas suffire si ses adversaires sortent le grand jeu. Le choix est douloureux.

La troisième place revient à Daisuke Takahashi, grâce à une superbe prestation, comparable à ce qu’il a pu proposer lors de la récente finale du Grand Prix. Une débauche d’énergie impressionnante, de la bravoure dans l’expression rythmique, et ce qui offre à son programme une ampleur particulière, une maîtrise dans la gestuelle qui se développe en adéquation avec les nuances musicales. Le Japonais, malgré cette performance remarquable, reste sans doute dans l’incertitude par rapport à son libre. De retour de blessure après une saison blanche, il n’a pu jusqu’à présent montrer l’endurance nécessaire pour tenir la durée du programme. Le manque de confiance sur le quad (il ne l’a jamais passé en compétition depuis l’automne) est encore une interrogation supplémentaire. Mais s’il a pu monter en puissance sur le plan de la condition physique, tous les espoirs lui sont permis.

Un écart s’est créé avec les poursuivants immédiats, même si ces derniers peuvent conserver l’espoir de renverser la situation. Nobunari Oda occupe la quatrième place, avec une performance très satisfaisante. S’il s’est souvent montré fébrile par le passé dans les grandes occasions, il a cette fois-ci patiné avec aisance et assurance. Cependant, son programme court garde un caractère générique, assez anodin et Oda est logiquement sanctionné en composantes. Relégué à plus de cinq points des leaders, il devra prendre des risques dans le libre et tenter une combinaison avec le quadruple saut. A condition de reproduire ce qu’il a pu montrer à l’entraînement, il peut largement surprendre.

Stéphane Lambiel, cinquième à quelques dixièmes de point d’Oda, peut être soulagé. Il savait que pour rester dans la course, il devait passer le quadruple saut et il s’est arraché : la réception est écrasée, heurtée, mais la combinaison est validée. Certes, il réalise quadruple-double au lieu de la combo prévue quad-triple, mais il conserve toutes ses chances. L’envie est là, la limpidité et la fluidité de son patinage laissent admiratifs. La sensibilité de Lambiel s’exprimant encore plus aisément dans le libre, on peut s’attendre à vivre un grand moment. Mais sans triple Axel, il devra passer deux quadruples pour ne pas dépendre d’éventuelles contre-performances.

De sa sixième position, Johnny Weir peut tirer des enseignements partagés. Point positif, il réalise un programme propre et maîtrisé et confirme les bonnes dispositions entrevues à la finale du Grand Prix. En confiance, il n’a pas manifesté une nervosité qui trop souvent l’a fragilisé. Cependant, il reste à distance respectable des meilleurs. La valeur de ses éléments techniques est insuffisante, et il ne peut combler l’écart en composantes. Ses limites étant encore plus marquées dans le libre (fébrilité sur les combinaisons 3-3, seconde partie de programme insuffisante en difficultés), un podium apparait déjà presque inaccessible, sauf défaillances multiples de ses concurrents.

Tout le Canada espérait une grande performance de Patrick Chan : le bilan est en demie-teinte. Indéniablement, il a progressé depuis son championnat national mais la blessure du début de saison était sans doute un handicap trop important. S’il a pu montrer son exceptionnel toucher de glace, la virtuosité de sa gestuelle et de ses pas, son programme est entaché d’approximations : une réception fébrile sur le triple Axel, un déséquilibre sur la séquence de pas, et une pénalité pour avoir terminé en retard par rapport à la musique. Plus inquiétant, il semble déjà avoir puisé dans ses réserves physiques, ce qui pourrait encore le pénaliser sur le libre.

Si Takahiko Kozuka savait qu’il ne pouvait guère viser plus qu’une place d’honneur, il peut être satisfait de sa huitième place, après un programme très solide, tout juste entaché d’une réception un peu sèche sur le triple Axel. En difficulté à l’automne, il semble avoir retrouvé des ressources et tentera de se montrer à nouveau à son avantage sur le libre.

Michal Brezina, Denis Ten, et Florent Amodio représentent trois satisfactions, entre la neuvième et la onzième place. Patineurs prometteurs, protagonistes probables du prochain cycle olympique, ils ont chacun prouvé qu’il fallait d’ores et déjà compter sur eux, en témoignant d’une expérience suffisante pour gérer le contexte d’une telle compétition. Brezina confirme ses prestations convaincantes du championnat d’Europe, et montre, pour sa première année complète au niveau senior, une régularité intéressante. Tout au plus peut on rappeler l’inadéquation entre un choix musical empreint de légereté, et son style de patinage très puissant. Mais il aura l’occasion dans le futur d’affirmer sa personnalité artistique. Denis Ten, de loin le plus jeune patineur de la compétition du haut de ses seize ans, manifeste d’exceptionnelles qualités. La glisse dévoile une belle aisance, la gestuelle est déjà musicale même s’il manque encore un caractère. Révélé au plus niveau par sa huitième place aux Mondiaux l’an passé, sa marge de progression ne peut qu’impressionner. Enfin, Florent Amodio a géré son nouveau statut de champion de France avec maturité et insouciance, avec l’humble ambition de se montrer à la hauteur de l’évènement. Sans pression, il a patiné avec fluidité et délicatesse, tout en montrant une grande maîtrise sur les difficultés techniques. Il s’est comporté en compétiteur, avec le recul nécessaire pour ne pas risquer d’être bousculé par la pression.

Au sein du plateau des favoris, trois candidats ont connu hier une forte désillusion. La plus marquante est celle de Brian Joubert, relégué à la dix-huitième place. Certes, les évènements récents laissaient craindre le pire : une communication outrancière et agressive, l’absence d’analyse de ses insuffisances, le manque de perspective dans le déroulement de sa saison, autant de signes renforçant une appréhension. Mais il restait sur un programme court très solide au championnat d’Europe, et sa constance dans l’exercice plaidait en sa faveur. Malheureusement, il n’a jamais pu faire illusion : la réception du quadruple boucle piquée, entachée d’un double trois, l’empêche de réaliser la combinaison requise…et s’il se reprend sur le triple Axel, il s’écroule dès le déclenchement du Lutz. Chuté et dégradé, l’élément ne vaut quasiment rien, ce qui anéantit tous ses espoirs de médaille. Si Brian a forcément sa part de responsabilité dans cet échec – des difficultés à se remettre en question, un manque de recul – , on ne peut qu’être déçu par les choix de la Fédération. Et plus que l’échec d’un sportif, c’est l’échec d’une méthode. A force de rajouter une pression excessive, de multiplier les déclarations tapageuses, de ne jamais tirer de leçons des compétitions passées, on se lance dans une fuite en avant. Brian manquait tout simplement de lucidité pour gérer les attentes placées en lui, et pour se montrer à la hauteur de ses propres ambitions. On ne peut qu’à nouveau lui souhaiter de faire le vide, de patiner le libre pour lui-même, pour le public et pourquoi pas de revenir dès les Mondiaux, vu que ce n’est absolument pas un problème de condition physique. Il y a un état d’esprit à revoir.

Autre déception, Jeremy Abbott. Attendu puisqu’il restait sur deux prestations mémorables lui ayant offert le titre national, avec la sensation d’être monté en puissance depuis l’automne, serein dans ses entraînements et sa façon d’aborder la compétition, il a débuté par une solide combinaison triple-triple. Puis une légère retenue lors de la prise de l’élan de l’axel. Alors que son entrée sur le saut est si difficile, cela ne pardonne pas, il ne déclenche pas la rotation. Deuxième frein sur le lutz qu’il ne passe qu’en double. Comme Brian, il s’agit de deux erreurs majeures et Jeremy ne prend que la quinzième place. Rien à dire sur le style, la qualité de glisse, l’expression, mais la frustration est évidente. La leçon est sévère mais il y aura beaucoup d’enseignements à en tirer : la confiance est fragile et la mécanique peut se gripper à partir de trois fois rien, surtout quand on connaît l’émotivité de Jeremy. Il peut et doit vite se relancer, en espérant que ce soit dès le programme libre.

Tomas Verner termine également très loin, à la dix-neuvième place. Mais son échec est moins surprenant, tant il est systématiquement passé à côté de ses compétitions récemment, excepté son entame de saison prometteuse au Trophée Bompard. Un quad non déclenché et un triple Axel chuté mettent fin à ses illusions. Patineur irrégulier, ayant toujours eu des difficultés à tenir mentalement un programme, il est retombé dans des travers qu’il avait parfois su faire oublier les années passées. Là-encore, le constat est amer.

Le programme libre se déroulera dans la nuit de jeudi à vendredi (2h du matin heure de Paris). 

Résultats du programme court messieurs
1 PLUSHENKO Evgeni RUS 90.85 Q
2 LYSACEK Evan USA 90.30 Q
3 TAKAHASHI Daisuke JAP 90.25 Q
4 ODA Nobunari JAP 84.85 Q
5 LAMBIEL Stephane SUI 84.63 Q
6 WEIR Johnny USA 82.10 Q
7 CHAN Patrick CAN 81.12 Q
8 KOZUKA Takahiko JAP 79.59 Q
9 BREZINA Michal CZE 78.80 Q
10 TEN Denis KAZ 76.24 Q
11 AMODIO Florent FRA 75.35 Q
12 van der PERREN Kevin BEL 72.90 Q
13 BORODULIN Artem RUS 72.24 Q
14 CONTESTI Samuel ITA 70.60 Q
15 ABBOTT Jeremy USA 69.40 Q
16 FERNANDEZ Javier ESP 68.69 Q
17 LINDEMANN Stefan GER 68.50 Q
18 JOUBERT Brian FRA 68.00 Q
19 VERNER Tomas CZE 65.32 Q
20 BACCHINI Paolo ITA 64.42 Q
21 KOVALEVSKI Anton UKR 63.81 Q
22 SCHULTHEISS Adrian SWE 63.13 Q
23 PFEIFFER AUT 60.88 Q
24 CHIPEUR Vaughn CAN 57.22 Q
25 RI Song Chol PRK 56.60  
26 RAKIMGALIEV Abzal KAZ 55.88  
27 URBAS Gregor SLO 53.02  
28 DOMANSKI Przemyslaw POL 52.14  
29 KELEMEN Zoltan ROU 51.95  
30 NURMENKARI Ari-Pekka FIN 44.62  

 

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