Dossier : comprendre le système de jugement

Que serait le patinage sans les juges ? Qui sont ces personnes cachées derrières leurs ordinateurs de l’autre côté des balustrades ? Des bénévoles, des passionnés et plus encore. Et puis, comment pourrait-on apprécier notre sport favori sans en comprendre les règles du jugement ?

Natacha Pontonnier, juge international en danse et juge national en synchro est assise derrière les balustrades déjà depuis 12 ans. Ancienne patineuse junior en couple à l’école lyonnaise de Muriel Zazoui, a accepté très gentiment de nous dévoiler tous les secrets de son métier et de nous élucider le nouveau système de jugement.

Apprécier le patinage, c’est le comprendre

 

Peux-tu nous expliquer le fonctionnement du NSJ (Nouveau système de jugement) ?

Le NSJ consiste en une attribution de points qui résultent de la valeur d’un élément lié à sa complexité et du fait que cet élément soit bien ou mal exécuté. Des fois cela peut apporter plus de présenter un élément facile bien exécuté qu’un élément difficile mal exécuté.

Notre appréciation porte sur deux aspects : la technique et l’artistique.

 

La note technique

Le juge apprécie seulement comment chaque élément a été exécuté à l’aide des GOE (grade of exécution) allant de -3 à +3. Il existe pour cela des critères précis qui nous aident à établir si tel ou tel élément a été bien fait ou pas.

Par exemple pour une pirouette, on regarde la justesse de l’entrée et de la sortie, la vitesse de rotation, la fluidité, le changement de pied et de position etc. On peut également faire des déductions si par exemple le patineur repose son pied ou s’il n’est pas sur la musique. Ou au contraire augmenter d’un grade s’il présente des positions originales.

Ce système permet de mettre un GOE 3 à un simple Axel si son entrée est très jolie, si le saut s’élève très haut et s’il tourne vite. D’un autre côté, on peut donner un GOE moindre à un triple Axel levé de manière lourde avec un long temps de préparation et une jambe qui flageole à l’arrivé. En résumé, on ne regarde pas la difficulté de l’élément. Peu importe si le patineur fait un simple saut ou un quad, on note simplement l’élément tel qu’il est présenté. De la notation de tous les juges pour chaque élément, l’ordinateur enlève la note la plus basse et la plus haute et fait une moyenne des notes restantes. Cette moyenne est ensuite multipliée par un coefficient spécifique à chaque élément (selon une échelle de valeurs car une spirale ne vaut pas pareil qu’un saut) et également avec le LEVEL donné par le panel technique.

LES LEVELS – les niveaux de difficulté sont codifiés et attribués par les Technical Specialists et les Technical Controlers. Pour vous donner quelques exemples :

Pour un porté stationnaire en danse, le panel technique attribue : un level 2 : si la pose est simple et si le patineur tient la partenaire seulement 3 seconde un level 4 : si la pose est difficile et s’il y a un changement de position

Pour une séquence de pas : un level 1 : des chassés, des courus un level 2 : des mohawks, des croisés un level 3 : des choctaws, des rockets

LES DEDUCTIONS (-1 par exemple), visibles à l’écran sous le score, sont données soit par le juge arbitre soit par le technical panel suite à une violation de la durée du programme, des portés trop longs, suite à l’ interruption du programme, à un costume inapproprié, à des éléments illégaux, à une chute…

Spécifiquement la chute vaut aujourd’hui très cher, c’est une triple sanction. Les juges ne peuvent pas attribuer un bon GOE, le panel technique met un moindre level et en plus on peut déduire un point du résultat final.

 

La note artistique

L’aspect artistique est le plus dur à juger. Il comprend cinq composantes qui doivent être notées de 0 à 10 point par intervalle de 0,25. Pour chaque composante on a une échelle de valeur avec des critères précis qui nous aident à les évaluer.

Les transitions (on regarde si elles sont compliquées, s’il y a de différentes tenues des mains…) Les skating skills (on regarde si le patineur fait de carrés profondes, s’il va vite, s’il a une surete dans ses carrés…) La performance (l’investissement physique, l’unisson, le style, la projection) La chorégraphie (si elle est bien construite, les éléments bien placés, si elle va avec la musique, l’originalité, l’utilisation de l’espace…) L’interprétation

 

Quels sont les avantages et les inconvénients du NSJ ?

Avant, il s’agissait d’un jugement relatif, c’est-à-dire comparatif. Désormais nous avons à faire à un jugement à valeur absolue où il est strictement interdit de comparer. Le NSJ est donc moins subjectif. On a un vrai cadre avec des tableaux, des critères, des descriptifs… La séparation des tâches des juges et du panel technique se révèle bénéfique dans le sens où on ne peut pas tout voir. D’un autre côté ce système de jugement basé sur l’appréciation de chacun des éléments ne nous permet plus aussi facilement qu’avant d’appécier un programme dans sa globalité, de percevoir l’histoire d’un programme, d’être ému. Du côté des sportifs, les classification lists aident les patineurs dans leur préparation. Avec les profs, ils peuvent voir comment chaque élément a été apprécié et sur quoi il faut donc travailler davantage.

Le principal inconvénient réside dans le fait que les juges sont déresponsabilisés. Avant il fallait se justifier si on mettait par exemple en première position un patineur classé cinquième. Aujourd’hui, on reste anonymes et on ne se justifie plus. Cela nous met un peu à l’ombre, on se remet moins en question et il est plus difficile de se perfectionner et de tirer des leçons de nos erreurs. Cependant on ne peut pas juger n’importe comment car il existe une sanction dans le cas on sortirait du corridor, c’est-à-dire si on met par exemple un GOE de +3 alors que la moyenne est de -2. Cela a pour conséquence que les juges qui ont peur d’être sanctionnés ne mettent pas les notes extrêmes ce qui rend la notation moins spectaculaire.

Ensuite, on n’a plus le temps d’apprécier le programme dans sa globalité. On est comme des robots qui notent des programmes de plus en plus similaires. Les patineurs prennent moins de risques et montrent des programmes moins spectaculaires et moins originaux. Ils sont plus intéressés par les levels que par le GOE. Candeloro a par exemple beaucoup apporté au patinage, mais il serait aujourd’hui en bas des classements. C’est la réalité du NSJ mais aucun système ne peut être parfait.

 

La passion d’être juge

Comment devient-on juge ?

En général, le juge est une personne qui a patiné auparavant et a obtenu des médailles mais ceci n’est pas obligatoire. Elle doit donc avoir une licence mais ne plus être compétiteur. Il faut également avoir un peu de temps libre car cela prend les week-end, de plus il est nécessaire de se mettre régulièrement à jour sur le règlement. Les juges sont des bénévoles, nous ne sommes pas payés, mais les frais de déplacement sont bien sûr pris en charge.

J’aimerais souligner qu’on n‘est pas assez nombreux, tout le monde est donc bienvenu. Il suffit d’aller voir le président de votre club qui vous mettra en relation avec le responsable des juges de votre ligue respective. Puis, pendant un an vous serez juge stagiaire et vous jugerez en blanc au côté d’un juge. Vous suivrez également une formation et l’année suivante vous pourrez déjà commencer à juger pour de vrai. Il y a un système de progression des juges. On commence au niveau des interclubs puis on peut monter si la CNOA (commission nationale des officiels d’arbitrage). Par la suite, il faut suivre des formations de remise à jour tous les un ou deux ans.

 

Comment se déroule une journée de compétition pour les juges ?

Avant la compétition, on a une réunion des juges pour rappeler essentiellement le règlement. Il nous est interdit par exemple de parler avec la presse durant toute la compétition ou avec qui que ce soit de l’épreuve et des compétiteurs. L’idée est de nous couper du monde pour qu’on ne soit pas influencé par des opinions d’autrui et pour qu’on reste ainsi fidèle à notre propre objectivité. Une fois qu’on a jugé, on retourne dans la salle des juges pour se faire distribuer les classification lists mais on a pas le droit de les commenter. C’est seulement à la fin de la compétition, lors de la dernière réunion des juges qu’on rédige tous ensemble un rapport sur le championnat qui sera envoyé à la fédération et à ISU. Ceci a pour objectif de faire passer des messages, des remarques, des critiques sur le règlement que la compétition nous a révélée. Par exemple on peut trouver que le fait d’avoir interdit un élément sur le costume est finalement plutôt néfaste, que 4 portés au lieu des 5 prescrits suffiraient etc. Il s’agit de préconisation pour améliorer l’intérêt de ce sport et de son développement pour les années suivantes.

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