Stupeur et tremblements

Beaucoup de patineurs auraient sans doute bien aimer prendre un ascendant psychologique à l’approche des grosses échéances de deuxième partie de saison. Malheureusement, les patineurs les plus attendus auront davantage tremblé qu’impressionné. Ceux qui espéraient y voir plus clair dans la foule des prétendants au titre olympique à l’issue de cette finale en sont pour leurs frais. A une exception près. Xue Shen et Hongbo Zhao. Le couple chinois est parfaitement au rendez-vous et fait désormais figure de favori pour Vancouver.

 

Lysacek : la prime à la régularité

Chez les messieurs, c’est la régularité qui a fait la victoire. Lysacek, Oda, Weir, voilà un trio de tête qui n’aura pas été bouleversant mais a su être solide dans toutes les phases de la compétition. Sans aligner de difficultés majeures (pas de quad, pas de combinaison de saut extraordinaire) mais avec des performances honorables. A l’inverse, tous les patineurs qui ont tenté le quad, dont les patineurs les plus appréciés pour leur sens artistique comme Abbott et Takahashi, auront connu des programmes catastrophes, le programme court pour Abbott et le libre pour Takahashi. Tomas Verner connaitra même deux programmes catastrophes coup sur coup. Dur dur pour les chouchous du public. Cela présage-t-il d’une tendance pour Vancouver ? Difficile à dire en l’absence de favoris comme Joubert, Plushenko et Lambiel. Mais il est certain que le contenu technique des programmes des vainqueurs du week-end devrait fortement augmenter en deuxième partie de saison si ceux-ci veulent véritablement se battre pour l’or olympique, avec un risque de chute plus important et des conséquences imprévisibles sur le classement. Au petit jeu du moins disant, Lysacek semble le plus fort mais ses concurrents ne devraient pas se laisser faire et pourraient sortir l’artillerie lourde d’ici deux mois.

 

Yu-Na Kim vainqueur mais fragilisée

Elle a inspiré stupeur et tremblements à Paris il y a deux mois. On voyait déjà Yu-Na Kim partie vers les sommets, laissant pour seul espoir à ses concurrentes les accessits du podium. Au Skate America, un petit doute est né au terme d’un programme libre catastrophe, tel qu’on ne l’aurait jamais imaginé chez la coréenne. Aujourd’hui, ce doute s’installe. L’inébranlable perfection du mois d’octobre s’est transformée en performance certes appréciable mais irrégulière. Cette fois-ci, c’est le programme court qui en pâtit le plus avec un simple flip et le triple boucle piqué dégradé de la combinaison triple lutz – triple boucle piqué. Même tarif pour le triple boucle piqué de la combinaison double axel – triple boucle piqué de son programme libre dans lequel elle réduira également sa combinaison triple lutz – triple boucle piqué en triple – double. La répétition de ces ennuis de saut laisse entrapercevoir un grain de sable dans la technique de Kim, un petit grain de sable capable de mettre par terre l’avance dont on la crédite sur ses adversaires, notamment grâce à la qualité universellement louée de son patinage. Elle y perd son statut de super-favorite et redevient accessible. Deuxième du programme court, elle remporte le libre devant Miki Ando qu’elle devance sur le podium final.

La japonaise aura joué la sécurité en évitant les combinaisons triple – triple et ne concède, de toute la compétition qu’un triple salchow dégradé dans le programme libre. Insuffisant pour contenir Kim mais suffisant pour accrocher l’argent.

Derrière, la bonne surprise vient de la japonaise Akiko Suzuki. Patineuse très dansante mais manquant d’une combinaison triple – triple et d’une réputation internationale, Suzuki est traitée avec circonspection par les juges. Certes, son programme court est pénalisé par un triple boucle dégradé qui la classe 5e. Mais son libre, pourtant meilleur programme technique de la compétition, ne la classe que 3e derrière Kim et Ando. 2 points d’avance sur Kim en technique, 5 sur Ando mais 9 points derrière en composantes. Et si on peut comprendre partiellement la différence avec Kim, celle avec Ando semble assez outrageante. Le classement national japonais est respecté mais Suzuki, qui fait une véritable percée au plus haut niveau international depuis un an, méritait mieux.

Derrière, on retrouve Ashley Wagner en 4e position, devant une Joannie Rochette redevenue hésitante et fragile et la russe Alena Leonova.

 

Shen et Zhao … et les autres

Trois couples au dessus des 200 points. Un quatrième qui les frôle. Impressionnant. Ce fut sans doute la plus belle des quatre catégories à Tokyo.

214,25 points pour Xue Shen et Hongbo Zhao ! Un programme court parfait, un programme libre presque parfait, hormis la séquence simple axel – double axel passée par Hongbo Zhao alors que sa partenaire fait double – double. A l’arrivée, le score du couple chinois explose tous les records, 12 points devant leurs adversaires directs. Ils enfoncent le clou pour la troisième fois depuis octobre. Pas la peine de chercher plus loin le couple favori des prochains Jeux Olymiques. C’est eux !

201.86 points pour Qing Pang et Jian Tong. Ils ne sont que quatrièmes du programme court à cause d’un pied posé par Qing Pang lors du changement de pied de la pirouette de couple. L’élément est invalidé mais le programme lui-même est parfaitement maîtrisé, avec notamment une petite merveille de triple boucle lancé. Ils se rattrapent avec un libre quasi parfait, à l’exception de la main de Jian Tong posée sur le triple boucle piqué en parallèle.

200,38 points pour Aliona Savchenko et Robin Szolkowy. On attendait mieux des allemands. Ils collaient à Shen/Zhao lors du programme court. Seule la tout petite main de Robin Szolkowy sur triple boucle piqué avait fait la différence. Hélas, le début de leur programme libre fut autrement plus fébrile. Deux tours et demi seulement pour le boucle piqué d’Aliona Savchenko et suppression de la séquence qui devait suivre avec un autre triple boucle piqué, réception un peu accrochée sur le triple flip lancé, une main de Robin Szolkowy sur double axel, ça fait beaucoup en une minute vingt. Le reste du programme sera impeccablement patiné mais c’est insuffisant pour obtenir mieux que la quatrième place du libre et la troisième au combiné des épreuves.

A 198.35, Maria Mukhortova et Maxim Trankov aurait pu inquiéter les allemands. Leur seule erreur aura été une pirouette en parallèle assez médiocre lors du programme libre. Mais ils se font distancer sur la note de composantes et leurs sauts lancés n’ont pas l’amplitude de ceux des chinois. Ils restent au pied du podium.

Derrière, Yuko Kawaguchi et Alexander Smirnov auront peiné sur le programme court et les Zhang sur le libre. Ils finissent respectivement 5es et 6es de la compétition.

 

Shpilband contre Shpilband

On attendait une victoire de l’équipe d’Igor Shpilband. On a eu une victoire de l’équipe d’Igor Shpilband. On attendait Virtue et Moir. On a eu Davis et White. La danse imposée est absente de la finale du Grand Prix et cela change tout. Tout, car la danse imposée creuse la séparation entre les danseurs selon leur niveau technique.

Rien de tel ce week-end et c’est le charme de la danse originale de Meryl Davis et Charlie White qui a tout d’abord frappé le jury. Une danse bollywoodienne énergique et bien patinée qui devance des canadiens plus timorés. Tessa Virtue et Scott Moir ont choisi un flamenco dont le caractère peine à convaincre. Si leur chorégraphie est l’une des plus compliquées avec énormément de patinage en face à face en position fermée, peu de reprise de vitesse, la difficulté technique les pousse à patiner un peu sur la réserve, pour éviter la faute. Résultat, ils se laissent distancer, condamnés à courir lors du libre derrière une victoire qui leur semblait promise. Les français Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat, eux, impressionnent par la qualité de leur glisse et leur puissance sur une danse country américaine. Mais on leur reproche le faible niveau de difficulté de leur danse originale, hors élément, avec notamment des positions ouvertes, beaucoup de patinage côte à côte et peu de transitions. La blessure de Fabian Bourzat à la cheville lors du Skate Canada ne les handicape pas trop sur cette première épreuve, malgré le manque d’entrainement. Derrière, on retrouve les Kerr, les italiens Cappellini / Lanotte et les jeunes canadiens Vanessa Crone et Paul Poirier.

La danse libre est une occasion de revanche pour Tessa Virtue et Scott Moir et ils vont la prendre. Mais pas suffisamment pour repasser en tête au classement général. Leur programme libre sur la Symphonie No 5 de Mahler plait assez dans son style très classique et les niveaux techniques reçus sur les éléments font pencher la balance de leur côté, même si la note de composantes penche du côté américain. Ils se classent 1ers du libre mais à seulement 0.6 points de leurs camarades Meryl Davis et Charlie White, alors que ceux-ci avaient une avance d’1.8 points. C’est pour eux une grosse déception alors qu’ils s’attendaient à gagner pour la première fois une première compétition majeure. Si les problèmes de Tessa Virtue aux jambes n’empêchent pas le couple de patiner, ils semblent pourtant peser encore dans la qualité d’exécution des programmes et les canadiens payent en prime leur contre-performance du Skate Canada. Les juges savent désormais qu’ils peuvent être fragiles et leurs notes s’en ressentent. A l’inverse, Meryl Davis et Charlie White apparaissent comme le couple fort, celui qui monte fermement. Leurs twizzles sont toujours impressionnants de vitesse et leurs portés sont de plus en plus acrobatiques. Pour autant, leur patinage est moins précis que celui des canadiens, leur gestuelle plus fouillis, la qualité de finition moindre. Avec eux, tout va vite et fort, au détriment de la qualité. Et c’est l’impression qui ressort de leur danse libre : rapide mais fouillis. Ils prennent logiquement la deuxième position du libre mais restent devant au combiné des épreuves. Ils menacent désormais directement le couple américain numéro 1, Tanith Belbin et Benjamin Agosto (forfaits) avec qui la confrontation directe n’est que reportée au championnat américain. Les français Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat prennent la 3e place, avec un libre sans erreur majeure mais émaillé de petites imprécisions, probablement dûes à la blessure de Fabian Bourzat et à un entrainement réduit. Les Kerr finissent quatrièmes devant Anna Cappellini / Luca Lanotte et Vanessa Crone / Paul Poirier.

La danse sur glace est curieusement plongée dans l’inconnu cette saison. 

Deux couples majeurs sont absents. Les champions du monde (Domnina / Shabalin et Delobel Schoenfelder) vont revenir en janvier mais on ignore encore tout de leurs programmes et de leur forme. 
Meryl Davis et Charlie White, qui étaient régulièrement classés derrière Tessa Virtue et Scott Moir, commencent à les battre et ont en ligne de mire le couple américain numéro 1, Tanith Belbin et Charlie White, avec une forte chance de les devancer. 
Tout semble chamboulé dans le top 5 mondial (sans parler de la suite du classement avec la montée en puissance de Péchalat / Bourzat et la descente aux enfers de Khokhlova / Novitski) et on se demande encore comment la hiérarchie mondiale va se mettre en place aux Championnats d’Europe et aux Jeux Olympiques. Jamais la situation n’aura été aussi floue que cette saison pour les danseurs. Le championnat d’Europe et le championnat national américain devraient opérer une première clarification en janvier. Mais il restera encore une part d’ombre jusqu’aux Jeux Olympiques. Avec des surprises ? Ou avec un retour "à la normale" ? Réponse en février à Vancouver.

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