Liubov Ilyushechkina / Dylan Moscovitch : ‘ne pas participer aux JO n’est pas une option’

Alors qu’ils participent ces jours-ci aux championnats nationaux canadiens, épreuve qualificative pour la nomination dans l’équipe olympique, retrouvons Liubov Ilyushechkina / Dylan Moscovitch, qui jouent la place pour PyeongChang, rencontrés lors du Grand Prix de France à Grenoble cet automne.

Revenons un peu en arrière… la dernière fois que Liubov était en compétition en France, c’était lorsqu’elle avait essayé de patiner en couple avec Yannick Kocon aux Masters en 2014… Vous souvenez-vous comment vous être entré en contact ensuite ?
Dylan :
c’est très simple, j’ai contacté Liubov sur Facebook ! Je lui ai demandé si elle était disponible et prête à patiner avec moi. Je savais qu’elle n’avait plus de partenaire, et qu’elle avait un très bon niveau.
Je venais de me séparer de Kirsten Moore-Towers, j’avais 29 ans, et si je devais continuer à patiner, ça devait être avec quelqu’un qui avait de très bonnes bases, je ne me voyais pas repartir à zéro. En gros, il n’y avait qu’elle ! Si elle n’avait pas répondu, ou si ça n’avait pas fonctionné, j’aurai peut-être essayé avec quelques autres patineuses pour être tout à fait sûr et n’avoir aucun regret, mais j’aurai sûrement arrêté ma carrière.
Liubov : de mon côté je connaissais Dylan, je savais que c’était un très bon patineur. Ca ne pouvait pas marcher avec Yannick, c’était donc une bonne chance. Je devais de toute façon venir aux Etats-Unis pour essayer avec Josh Reagan, mais celui-ci venait d’annuler.
Dylan : Du coup j’ai fait venir Liubov à Détroit, car elle n’avait pas de visa pour le Canada ! J’ai conduit 4 heures, et on a enfin essayé.

Vous vous rappelez votre première session ensemble ?
Liubov : Dylan s’en rappelle mieux que moi !
Dylan : je m’en souviens très bien, j’étais moi et elle était elle… Ce qui veut dire qu’elle était très sérieuse…
Liubov : …. et lui très blagueur ! Je me souviens lui avoir dit ‘toi, tu es un blagueur… !’
Dylan : je lui ai répondu ‘oui’, bien sûr !

Et sur la glace ?
Dylan : C’était plutôt bien, on sentait qu’il y avait quelque chose… J’avais demandé à Bryce Davison, mon entraîneur (ancien compétiteur avec Jessica Dubé, ndlr) d’être là, et il nous a dit ‘vous allez bien ensemble tous les deux’. On a donc annulé le vol de retour de Liubov !
Le premier jour a été suivi d’un second, puis d’un autre… et de 6 semaines en tout, toujours à Détroit, car on attendait que Liubov ait son visa pour le Canada
Liubov : on ne dormait pas à la patinoire quand même, mais presque, on était sans domicile fixe, il a fallu tout arranger en un rien de temps.
Dylan : on a fait appel à tous nos amis patineurs, on est resté dans l’appartement de Patrick Chan la première semaine par exemple. On est passé d’amis en amis, ce n’était pas très évident, mais dans l’ensemble ça s’est bien passé.
Liubov : Dylan a bien sûr fait quelques aller-retour au Canada pendant ce temps, mais ce n’était pas trop dur pour moi. Les gens m’ont accueilli très amicalement.

 

Liubov, tu n’es pas senti trop perdu dans ce nouveau pays ?
Liubov : heureusement mon anglais était bien meilleur que mon français, je pouvais donc communiquer !
Dylan : au début, j’essayais de parler un anglais très simple pour être sûr que Liubov comprenne bien…
Liubov : …et tu as fini par ne plus bien parler anglais !
Dylan : oui, il y avait quelque chose comme ça ! Mais comme elle m’a demandé d’être strict, j’ai repris mon parlé normal. Enfin, j’ai beaucoup traduit d’anglais à anglais ! Par exemple quand notre entraîneur indiquait quelque chose, je reprenais pour Liubov en des termes qu’elle comprenait parfaitement.

Vous avez tout de suite senti que vous aviez un bon potentiel ensemble ?
Dylan : assez oui, on sentait que c’était possible, qu’on pouvait tenter le coup.
Liubov : on a beaucoup communiqué là-dessus !
Dylan : oui, ce qui était clair, c’est qu’il fallait qu’on prenne en compte nos deux chemins respectifs, qui nous étions, d’où nous venions, ce que nous voulions, et qu’on fasse chacun un pas vers l’autre… pour aller dans la même direction au final.
Liubov : on était sur la même longueur d’onde, on a beaucoup parlé. Dans ce genre de situation, le respect envers l’autre, la patience, l’ouverture d’esprit comptent beaucoup.

Niveau patinage, il a sûrement fallu faire pas mal d’ajustements… deux patineurs n’ont forcément pas le même timing, la même façon de faire des croisés…
Liubov : c’est là qu’il faut le plus de patience, sinon on est très vite frustré !
Dylan : oui, car on travaille beaucoup, quasiment comme des fourmis, mais petit à petit tout prend forme… il faut être patient. Certains éléments sont venus plus vite que d’autres. Les sauts lancés, les portés, c’était assez rapide. Par contre le Twist, il a nous bien fallu 4 ans pour en avoir un correct. Les sauts parallèles ça a pris beaucoup de temps également, Liubov sortait d’une période assez longue où elle ne s’était pas beaucoup entraînée. Après, il faut lier le tout ensemble, avoir une bonne base du patinage de couple, ne serait-ce qu’avoir les mêmes poussées… ça aussi, ça a pris du temps, et beaucoup de travail.

Entre Liubov et sa technique russe, et Dylan et son approche canadienne, où vous positionnez-vous ?
Dylan : très bonne question… je dirai qu’on a appris l’un de l’autre, on a combiné nos expériences… Ca donne quelque chose comme une base russe à la saveur canadienne !

 

Et vous avez même inclus dans votre répertoire le quadruple Salchow lancé…
Dylan : en fait on faisait le quadruple Lutz lancé les années passées, mais comme le saut lancé de notre programme court est le triple Lutz, travailler le quadruple rendait le triple moins sûr. On est passé sur le Salchow.
Liubov : c’est sûr, en individuel on ne connait pas les quatre rotations. Du coup quand on part sur un quadruple, il y a une bonne dose d’appréhension, voire de peur j’imagine, car le risque est grand. Et puis on en fait un premier et tout est plus simple. Je sais toujours où j’en suis dans mes tours quand je suis dans les airs.

Liubov vient tout juste de devenir canadienne, combien de temps cela a-t-il pris ?
Dylan : on a commencé les démarches… dès qu’on a commencé à patiner ensemble, ça fait donc 4 ans ! C’était clair pour nous dès le départ, on patinait ensemble, avec un objectif olympique, et donc une naturalisation.
Liubov : ca fait chaud au cœur de devenir canadienne, c’est un pays que j’ai toujours beaucoup aimé et qui est très accueillant. Je ne perds pas ma citoyenneté russe, j’ai la double nationalité maintenant. Et bien sûr ça nous ouvre la porte des JO.

Justement, à propos des JO, la place vous semble acquise puisque le Canada a trois quotas en couple. Mais vous êtes-vous préparé mentalement si par malchance vous n’étiez pas sélectionné ?
Dylan : pour être honnête, depuis qu’on patine ensemble, on a les JO en ligne de mire, si nous n’allons pas en Corée, ce serait tout simplement une tragédie pour nous. Ne pas y aller n’est pas une option !
Il y a 3 places et 3 autres couples sont très forts en ce moment (Duhamel/Radford, Seguin/Bilodeau, et Moore-Towers/Marinaro), dont mon ancienne partenaire. Je n’ai pas de problème avec ça ; ils reviennent à un très bon niveau, ils ont remporté leur première médaille en Grand Prix la semaine dernière, je leur souhaite le meilleur.

Avez-vous pensé à ce que pourrait être votre vie après les JO ?
Dylan : ce qui est sûr, c’est que ce sera notre dernière saison en tant que compétiteurs. De mon côté je n’ai pas d’idées précises, disons plutôt que j’ai des idées sur ce que pourraient être mes idées. On verra aussi selon les opportunités qui se présenterons à nous. On aimerait bien faire des shows, et refaire la tournée Stars On Ice par exemple. Avec Patrick Chan et Eric Radford on a également des projets de voyage et de présentations de séminaires. Peut-être que je referai quelques apparitions comme acteur, où que je retournerai à l’école.
J’ai la chance d’avoir une deuxième passion, les arts martiaux. Je compte retourner m’entraîner en krav maga, passer des niveaux et obtenir une qualification en tant qu’entraîneur… ce ne serait pas à plein temps, mais de temps en temps pourquoi pas.
Liubov : Pour ma part j’ai un diplôme en sport que j’ai obtenu quand j’étais en Russie. Je pourrais être entraîneur, j’ai d’ailleurs entraîné quelques patineurs auparavant. Je ne sais pas vraiment encore si ça pourrait être mon métier. Entre le Canada et la Russie, ce serait possible dans les deux pays mais ce sont deux systèmes très différents.
Dylan : il y a des postes de contrôleur technique à l’ISU également, ça pourrait être intéressant.
Liubov :  de toute façon, je pense que d’une façon ou d’une autre, on ne sera jamais loin de la glace !