Thierry Cérez, un entraîneur heureux (2/2)

Ce qui m’a fait arrêter les shows  … c’est une blessure, une entorse que je me suis faite pendant un spectacle : il fallait plusieurs semaines d’absence, je me suis dit qu’il était sûrement temps de passer à autre chose. Mais bon, les shows ont eu ça de bon que j’y ai rencontré ma femme ! Elle s’appelle Suzanne Pieters, c’est une ancienne championne junior en Allemagne.

Depuis on habite donc aux Pays Bas, on a fondé une famille, on a eu petite fille, Annabelle, qui a 18 mois maintenant… c’est pratique on parle allemand et français à la maison, et anglais bien sûr pour bien se comprendre ! Au début ce n’était pas évident car la langue de Shakespeare ne m’était pas connu, mais je m’y suis mis. Et il faut que travaille mon néerlandais, même si c’est très dur à apprendre, car ça va être la langue de tous les jours de ma fille ! Je pense qu’elle parlera assez rapidement 4 langues.

masters miko 2000
(Masters Miko 2000)

Avec ma femme, donc, on s’est posé les bonnes questions. Elle a été championne junior en Allemagne, son pays, mais elle est plus dans le côté chorégraphie, elle avait monté déjà un numéro pour Holiday On Ice.

On s’est simplement demandé ‘on va où ? on fait quoi ? Avec quel salaire ?’. Ce qu’on voulait faire, c’est clair, c’était entraîner, mais il fallait qu’on trouve tous les deux un poste au même endroit. Et avec une rémunération qui ne soit pas trop loin de ce qu’on avait pour les shows, où on gagne assez bien sa vie. A quel endroit ? J’ai pensé à Paris, mais le niveau de vie est vraiment très élevé, tout est très cher, il aurait fallu habiter loin en Banlieue, donc beaucoup de transports, … et de tout façon ma femme a été clair : elle n’aime pas Paris ! Ca manque beaucoup trop de verdure, de nature. Aller aux US ? Il y aurait eu trop de différences d’un coup, la culture, la mentalité, et même la façon d’enseigner. Et on voulait ne pas trop s’éloigner de nos familles, ça voulait donc dire rester en Europe.

 

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(tournée Equipe de France 2000)

On a donc cibler des endroits comme la Suisse, l’Autriche, la Bavière, la Scandinavie, … et le hasard nous a souri. Après en avoir parlé à un ami, il nous avait conseillé d’envoyer nos candidatures aux Pays Bas. Et huit heures plus tard, j’avais une réponse me disant qu’il y avait du travail pour moi et qu’ils voulaient me voir le plus tôt possible. Je finissais tout juste un contrat en Italie, j’ai filé aux Pays Bas, à Hertogenbosch. C’était un bon compromis : pas trop loin, très vert, très propre, il y a même un lac… il y a beaucoup d’habitants, ce n’est loin ni d’Amsterdam ni de Bruxelles, moins de 100 km à chaque fois. Et ils proposaient deux postes, entraîneur pour moi, coordinatrice pour ma femme, on a donc signé !

On est dans un très grand complexe sportif, le Sportium, depuis septembre 2012. Quatre entraîneurs sont sur place, il y a une dizaine de patineurs à encadrer. L’approche du patinage est totalement différente de ce qu’on connaissait, moi en particulier avec le système français où tout passe par le club, qu’on paye par exemple une fois en début d’année. Tout de suite, ils nous ont dit d’avoir notre propre société ; l’approche est très libérale, les cours de patinage sont avant tout une prestation avec un client.

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(Masters Miko 2000)

Ce que j’ai pu apporter c’est une nouvelle approche de travail. Ici je travaille avec ma méthode, c’est en partie une méthode Pélissier, mon ancien entraîneur, et surtout une méthode Cérez ! J’essaye de transmettre tout ce que j’ai appris sur la glace, et en dehors. Une des grandes différences avec les autres entraîneurs, c’est que pour eux c’est souvent un deuxième travail, ils ont une autre activité professionnelle en dehors de la patinoire. Tandis que moi, j’y suis tout le temps, je peux partir en compétition le week-end, etc.

On est parti des tous petits niveaux, et ça a très vite fonctionné, la première année on a remporté le titre national. Et chaque année on avait un peu plus de patineurs, des niveaux un peu plus haut, et pas mal de réussite. La fédération néerlandaise a bien aimé qu’on ait très rapidement beaucoup de petits patineurs compétitifs. A tel point qu’en décembre dernier on a reçu le statut de centre régional de jeunes talents, avec l’objectif de gérer les jeunes de 6 à 12 ans. La fédération avait essayé par le passé de créer un centre national qui rassemble en un seul endroit tous les meilleurs patineurs du pays, mais ça a capoté. Là du coup trois centres devraient ouvrir prochainement.

On a maintenant une cinquantaine de patineurs (donc… une cinquantaine de parents à gérer également !), 7-8 entraîneurs, 3-4 chorégraphes. Tout ceci dans une approche client. On s’efforce à ce que les patineurs prennent toujours du plaisir sur la glace. S’ils n’ont pas le niveau pour s’aligner dans des compétitions nationales par exemple, on trouve toujours des compétitions de leur niveau où ils vont pouvoir s’exprimer. Et il y a également un comptable sur place, qui gère les factures des cours et les relances, mine de rien ça peut prendre du temps !

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(Masters Miko 2000)

Passer derrière la barrière… Déjà ça m’a fait bizarre d’être ici car c’est ma première grande compétition depuis des années ! Après, ce n’est pas moi qui suis sur la glace, c’est assez frustrant car je ne peux rien faire, mais une fois qu’on a compris ce point-là, c’est plus facile. Au final, on a fait de notre mieux, et le jour J, soit l’athlète est prêt, soit il ne l’est pas, en tout cas c’est à lui de jouer. En fait je suis finalement assez calme.

Mon patineur ici, il a réussi à me donner des émotions… alors qu’il ne passe tous les triples que depuis quelques mois, il m’a vraiment impressionné. C’est vraiment dommage au final car il termine 25eme du court et les 24 premiers sont qualifiés pour le libre, tout se joue à une place et à quelques points. Mais je n’avais pas d’attentes particulières pour le libre, je ne me projetai pas. Lui avait l’espoir d’y arriver, même si son entourage pensait que ce serait difficile. Enfin, il y est presque arrivé, il bat largement son meilleur score, il n’est pas du tout passé à côté, c’est très encourageant. Sa saison est vraiment bonne, il a passé 7 triples sauts dans le libre à Nice, il a obtenu le meilleur score qu’un patineur de son pays n’ait jamais eu, il progresse ! Et il reviendra l’année prochaine encore plus motivé, avec des objectifs réalisables, comme peut-être un top 15. Il faut dire que le niveau actuel, c’est carrément un autre monde par rapport à ce que j’ai connu ! Quand je patinais, faire triple Axel était déjà un exploit, comme aligner ensuite tous les triples sauts; maintenant il faut plusieurs quadruples et des combinaisons triple-triple partout.

De mon côté je continue à patiner de temps en temps, mais je ne suis plus tout jeune, il faut que je fasse attention, j’ai une famille, une petite fille, et accessoirement un crédit pour ma maison !

Honnêtement en être là à l’âge que j’ai, c’est vraiment bien. Je ne suis pas sûr que j’aurai tout ça si je m’étais posé en France. En tout cas, je suis un homme heureux.