Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon : portrait (1/2)

Alors que Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron présentent à Bordeaux ce week-end leurs nouveaux programmes au Trophée Eric Bompard* (la blessure de Gabriella ayant retardé leur début de saison) Passion-Patinage vous invite à redécouvrir leurs entraîneurs Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon, rencontrés fin juin lors de leur venue à Paris pour encadrer un séminaire destiné aux entraîneurs français.

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Bonjour ! Pouvez-vous nous parler du séminaire que vous avez animé à Paris ?
Marie-France : Après les championnats du monde, la FFSG nous a demandé de venir pour un séminaire en France. On a une longue histoire d’amour avec la France, on s‘est entraînés ici, un retour de notre part est normal.
Patrice: Et Romain Haguenauer, qui entraînait à Lyon, est venu chez nous à Montréal, ça reste une perte d’un entraîneur pour la France : si on peut aider à booster les coach français pour faire en sorte que les patineurs français s’entraînent en France, tant mieux !
Marie-France : Ici on a simplement expliqué notre façon de faire, nos méthodes, nos outils. Normalement un bon entraîneur aura retenu au moins une chose de tout ça ! Dans l’ensemble les coachs étaient très demandeurs, ça leur manque.

Revenons à vos débuts, vous rappelez-vous de vos premiers pas sur la glace ?
Marie-France : je m’en souviens très bien : c’était à Montréal, sur le fleuve St Laurent gelé, il faisait -20°C ! Je me souviens aussi qu’à 5 ans j’ai dit un jour à ma mère ‘je veux aller aux Jeux Olympiques !’, ce à quoi elle m’a répondu ‘c’est quoi les Jeux Olympiques ?’; et quand je lui ai répondu elle m’a demandé ‘dans quelle discipline ?’, je lui ai dit ‘en patinage’. C’était donc clair pour moi, mais je n’avais même pas de patins ! C’est ma marraine qui m’a offert ensuite mes premiers patins pour mon anniversaire.
Mais petite je dansais tout le temps, je faisais des chorégraphies partout, pour tout le monde y compris le petit voisin, je pense que je suis née pour être danseuse et chorégraphe. Et donc très tôt j’ai su que je voulais faire de la danse sur glace, et être la meilleure au monde !
Patrice : je n’ai pas de souvenirs aussi précis de mes premiers pas sur la glace; à 4 ans j’ai commencé par le hockey comme souvent au Canada. Par contre je me rappelle quand je patinais à l’extérieur étant petit, ce sont de bons souvenirs : comme il faisait très froid, les champs de maïs a côté de chez moi étaient recouverts d’une bonne couche de glace, suffisante en tout cas car je n’étais pas lourd, j’avais à disposition une patinoire de dimension quasi infinie ! Pas très loin il y avait également un marais, qui était gelé l’hiver, je faisais du patinage ‘hors piste’ en évitant les branches d’arbre pour aller chez le voisin.

Vos premiers pas ensemble ?
Patrice : ça, on s’en souvient très bien ! On patinait à ce moment-là avec des partenaires différents, mais on était très amis. Et déjà plusieurs personnes dans notre entourage, dont la personne qui faisait nos costumes respectifs, nous disait qu’on irait bien ensemble, que les tailles s’accorderaient bien, … alors un jour, pour le fun, on a patiné ensemble.. dans le plus grand secret ! Personne n’était au courant, ni nos partenaires ni nos coachs bien sûr. Et ce jour là on a su qu’on était fait pour patiner ensemble.
Marie-France : j’avais déjà pas mal d’expérience, à 14 ans j’avais déjà été 5ème aux mondiaux junior, championne aux niveaux pré-novice, novice, et junior; Patrice était plus jeune, mais avait sensiblement le même parcours.
Patrice : Rapidement, je me suis demandé si j’allais continuer à patiner. Avec mon ancienne partenaire, le lien n’était pas très fort, je pensais prendre au minimum une année sabbatique, je travaillais dans le garage de mes parents.

Mais vous n’avez pas raccroché vos patins !
Non, mais ce n’était pas simple, car en tant que nouveau couple, nous n’avions pas d’argent de la fédération ! On avait aussi chacun une technique très différente, notre patinage n’était pas le même au niveau des genoux par exemple, on n’avait pas l’instinct de patiner ensemble, de trouver la main de l’autre les yeux fermés. Cela nous a pris 4 ans pour vraiment progresser… pendant lesquels on a terminé à chaque fois 4ème des nationaux, ce qui nous fermait la porte des compétitions internationales.
Puis, quand on est enfin sorti à l’international, on a rapidement battu les danseurs canadiens qui étaient devant nous. On s’entraînait déjà en France à Lyon à cette époque, et nos chorégraphies, notre style était différent, plus européen, cela plaisait bien. Pour nos premiers mondiaux, on a terminé 10ème, cela a surpris pas mal de monde qui se demandait qui nous étions.

Quels sont vos éléments favoris sur la glace ?
Marie-France : Le porté ‘totem’ ! On était surtout connu pour notre connexion entre nous, et nos portés. Ils avaient l’air faciles, mais quand d’autres les essayaient, ils se rendaient compte de la difficulté qu’il y avait à les faire. Tout le jeu consistait à faire qu’ils aient l’air simple et fluides !
Patrice : en fait ce qu’on préfère avant tout, c’est quand nous sommes tous les deux en osmose, quand la magie s’installe. Et ça, ça peut arriver dans n’importe quel élément technique ! Il faut beaucoup, beaucoup de travail pour ça, on a surtout réussi à le faire dans nos 2 dernières années de compétitions, mais c’est vraiment un sentiment spécial, on peut se lâcher complètement, tout disparait.

A l’inverse, le pire… ?
Patrice : c’est quand la fatigue s’installe, le stress aussi. Tout devient raide, les engueulades arrivent facilement. Surtout pour nous qui sommes un couple sur la glace comme dans la vie, il faut accepter l’autre, apprécier nos différences. Il ne faut pas entrer dans le jeu du ‘blame game’ (“c’est la faute de l’autre”), il faut toujours gérer.
Dans notre carrière, on arrivait assez bien à couper complètement le patinage de notre vie personnelle, mais maintenant, en tant qu’entraîneurs, ce n’est plus une seule carrière qu’il y à gérer mais 14 !

C’est un emploi à plein temps ?
Marie-France : ça m’arrive de faire la cuisine, et tout d’un coup je dis à Patrice ‘attend, j’ai une idée de porté !’ De toute façon maintenant on travaille ensemble, si on voulait couper complètement de ce qui se passe la journée sur la glace… on n’aurait aucun sujet de conversation ! On essaie quand même de ne pas se laisser complètement envahir, mais on n’a pas encore trouvé de recette magique (rire).
Patrice : de mon côté j’ai de plus en plus de mal à écouter de la musique… pour simplement apprécier la musique, sans penser à autre chose ! Très rapidement je me dis ‘trop lent’, ‘non, ça ne donnerait rien sur la glace’, ‘celle-ci oui je garde’, etc.
De toute façon ça a toujours été notre façon d’être, de toujours être à 100%. En tant qu’athlète, on savait que notre carrière ne serait pas infinie, donc on se donnait à fond. En tant que coach, c’est pareil.
Marie-France : on en joue aussi parfois, notre petite fille me ressemble assez, elle danse tout le temps, elle est très artistique, elle donne son avis sur les musiques, sur les chorégraphies.

Tout le monde se rappelle cette douloureuse chute aux JO en 2006, comment avec-vous pu rebondir pour venir remporter l’argent aux mondiaux quelques semaines plus tard ?
Marie-France : Je vais vous raconter une histoire…
Après les JO de Salt Lake City, à la fin de la saison 2002, j’étais très malheureuse : on était venu s’entraîner en France, l’adaptation avait été assez difficile pour moi, j’avais laissé beaucoup derrière moi, ma famille, mes amis. Niveau sportif on avait fait beaucoup de changement sur notre technique, on avait fait de gros efforts, de gros sacrifices… selon nous on avait vraiment bien progressé, mais cela ne se ressentait pas sur notre classement international. En plus l’euro était fort par rapport au dollar canadien, ça nous coûtait très cher de rester en France. Je doutais beaucoup !
Et il s’est trouvé qu’à l’assemblée générale de Patinage Canada (la fédération canadienne), j’ai discuté avec une coach personnelle : j’ai été fascinée !
J’étais à la croisée des chemins, et je suis tombée sur la bonne personne. En une séance avec elle, elle m’a tout remis en perspective, elle m’a redonné confiance, l’envie de patiner était revenue ! On a continué à travailler avec elle, tous les dimanches depuis la France on l’appelait 2h chacun à la suite avec Patrice, puis ensemble. Elle nous a beaucoup apporté dans la préparation mentale, dans la vision des choses. C’est vraiment grâce a elle qu’on a continué, qu’on est allé au JO de 2006, et qu’on n’a pas baisse les bras !
C’est grâce à elle si après les JO de 2006, j’en suis sortie plus forte, et pas plus folle ! Je serai sûrement dans un asile sinon, cette chute à la toute fin de la danse originale, nous obligeant à déclarer forfait, après tous ces efforts et alors qu’une médaille était possible… à la seconde même de la chute, je me suis dit ‘si je ne me suis pas cassé la hanche, je vais au mondiaux et je gagne le libre !’. Et on l’a fait ! Patrice a continué à s’entraîner tout seul, moi je pouvais à peine marcher, mais en année olympique on avait une très bonne préparation , on ne perd pas beaucoup même en arrêtant de patiner quelques semaines.

Comment êtes vous devenu entraîneur ?
Patrice : Ce n’était pas quelque chose d’évident dès le départ, mais c’est rapidement devenu un but. En fait quand on est allé s’entraîner en France, j’étais vraiment fâché de partir : le Canada a beaucoup de patineurs, vraiment beaucoup de patinoires comparé à la France, le patinage est avec le hockey le sport numéro 1, alors pourquoi devoir partir quand beaucoup de conditions étaient réunies ?
Il n’y avait simplement aucun centre de haut niveau en danse au Canada. J’étais vraiment déçu de ne pas pouvoir m’entraîner chez moi. L’idée est donc rapidement venue qu’après notre carrière, on reviendrait à Montréal pour ouvrir un centre. Vu notre niveau à l’international, on a pu bénéficier d’une procédure plus rapide pour être officiellement reconnus comme entraîneur au Canada.
On ne prétend pas avoir la solution parfaite, le secret de la réussite, mais on veut qu’au moins les patineurs canadiens aient la possibilité de s’entraîner au Canada. Par contre, vu qu’on s’est fait un nom à l’international, notre premier couple était international également, et non canadien !
Après, on a toute une vision en tête, on aimerait avoir plus de patineurs canadiens, mais pour cela il faudrait également faire du développement, mais c’est quelque chose qui prend beaucoup de temps… et pour l’instant on se concentre sur notre boulot de coach. Par contre on a l’espoir de transmettre le relais, on entraîne en ce moment des patineurs, qui, on le sait, seront des bons coachs dans le futur.

Comment avez-vous monter un centre international de haut niveau à partir de rien ?
Patrice :
En fait on a partenariat avec la ville de Montréal; notre association fait partie de la REPAM, le Regroupement Elite de Patinage Artistique de Montréal. Au Canada, on ne fait pas la différence entre artistique et danse sur glace comme cela se fait en France, les 4 disciplines sont réunies sous le terme ‘artistique’. Il y avait déjà une plateforme existante quand on est arrivé, le regroupement avait déjà commencé, on est arrivé au bon endroit au bon moment. C’était dû pour arriver !
On a beaucoup appris du système européen. On a fait le parallèle avec la France, qui possède moins de patineurs, qui a moins de patinoires, mais qui a de meilleurs résultats ! On a cherché à comprendre pourquoi, on a analysé.
La grosse différence… c’est le financement.
Au Canada, il n’y a aucune subvention de la part de la fédération tant que vous n’êtes pas dans le top 5 national, pour lequel une enveloppe est attribuée tous les ans. Et le reste du temps, ce sont les patineurs eux-mêmes qui payent les entraîneurs, ce qui revient très cher. A moins d’être riches, des patineurs même bons peuvent arrêter. En France c’est différent, c’est souvent par le club ou la fédération que les entraîneurs sont payés. Donc dans notre centre, on a essayer de s’inspirer des deux systèmes, des différents méthodes de travail : par exemple, on a un forfait au mois ou à l’année. On a commencé doucement, on a appris à gérer un peu tout. On a eu 5 couples, maintenant on en a 14, ça a pris 5 ans.

Dans le centre on a 4 entraîneurs à temps plein, un professeur de théâtre 2-3 jours/semaine, un professeur de ballet, un professeur de ballrom (également juge et coach dans cette discipline), une équipe pour préparation physique qui travaille aussi avec des athlètes de ski acrobatiques, ce qui fait que nos patineurs sont tout de suite avec d’autres sportifs de haut niveau; nous avons également un professeur de hip hop, et de danse contemporaine.
Tout ça… sans aucun soutien financier de la fédération. Les soutiens fédéraux sont vers les athlètes, pas vers les clubs, même s’il commence à y avoir quelque chose de ce type au Québec avec l’Institut du Sport.
Mais bon, même si ce n’est pas au Québec que le patinage est le plus populaire, ce serait plutôt en Ontario, on a chez nous plusieurs bonnes écoles de glace avec Richard Gauthier et Brian Orser, ça fait vraiment du bien, la patinage rester notre sport national.

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* La FFSG a publié un communiqué de presse annonçant le forfait de Gabriella et Guillaume pour le Trophée Eric Bompard alors que cet article était en cours de publication