Surya Bonaly « Il faut être généreux ! »

A bientôt 36 ans, Surya Bonaly n’a jamais laissé personne indifférent. Dix fois championne de France dont une fois en couple avec Benoît Vandenberghe, championne du Monde junior, quintuple championne d’Europe et triple vice-championne du Monde, elle s'est même illustrée en tumbling, en remportant un titre mondial dans la catégorie espoir. Un palmarès tout à fait éloquent, malheureusement freiné par une rupture du tendon d'Achille en 1996, mais qui montre bien la générosité dont Surya Bonaly a toujours fait preuve. Précurseur, athlétique et différente, sa réussite et sa longévité sont la meilleure réponse qu’elle pouvait apporter aux juges qui ont toujours injustement refusé de la consacrer championne du Monde. Présente dans les gradins du dernier Trophée Bompard, elle connait bien Bercy, puisqu’elle a remporté cinq fois le Trophée Lalique, un record dans la catégorie féminine. Avec simplicité et franchise, elle a accepté de répondre aux questions de Passion Patinage.

Interview réalisée le 15 octobre 2009 à Courbevoie
(Propos recueillis par Brice Dequaire)
 
1/ Première question, toute simple. Comment vas-tu Surya ?
Surya: Bien, surtout quand je viens en France, ça me fait toujours plaisir.
 
2/ Quelles sont tes activités en ce moment ? Pour quelles raisons es-tu venue à Courbevoie avant le Trophée Bompard ?
Surya: D'habitude, je viens toujours pour les spectacles, mais là je suis venue pour mes élèves (Amber Ruiz et Louisa Ampomah) qui passent un test en France en ce moment. J'avais prévu de venir m'entraîner en Savoie, j'aime beaucoup le calme de cette région. Comme c'est tombé au moment du Trophée Bompard, j'en ai profité pour venir à Paris.
 

Surya Bonaly sur la place de la Défense avant le Trophée Bompard en compagnie de ses deux élèves Amber Ruiz et Louisa Ampomah (Photo BD)

3/ Tes patineuses sont-elles américaines ?
Surya: Elles sont franco-américaines. Elles ont de la famille française, mais elles habitent aux Etats-Unis. Nous nous sommes dit cette année, pourquoi ne pas venir en France pour essayer et pour réaliser des tests. Je vais les entraîner le matin pendant ce Trophée Bompard et l'après-midi nous irons à Bercy pour le plaisir de voir la compétition.
 
 
 
 

Surya Bonaly à Courbevoie avant le Trophée Bompard en compagnie de Diana Sckotnicka, Véronique Verrue et Christopher Boyadji (Photo BD)

4/ Tu vis à Las Vegas, tu as acquis la nationalité américaine depuis plusieurs années maintenant. Comment se passe la vie aux Etats-Unis pour toi ?

 

Surya: Pour moi les Etats-Unis, c'est ma deuxième maison. J'ai vécu plus longtemps en France. Après 12 ans passés outre-Atlantique, j'ai presque perdu ma culture française. J'ai oublié plein de choses, je ne sais plus quels sont les chanteurs à la mode ici en France. C'est la même chose pour les acteurs et les personnes qui font l'actualité. C'est un peu dommage, mais je m'intéresse forcément beaucoup plus ce qui se passe aux Etats-Unis (la télé, la radio).
 
5/ Tu étais passée professionnelle en 1998 après les Jeux Olympiques de Nagano. Quel regard portes-tu sur ta carrière amateur et quels sont les souvenirs les plus marquants qui te reviennent à l'esprit ?
Surya: Avec le recul, quand je regarde les vidéos sur Youtube, je me dis «WOW, j'étais forte en fait !» (rires). Des fois je m'épate moi-même, je n'arrive pas à y croire. Quand j'étais amateur, je patinais, mais je n'avais pas la sensation d'être forte. Je savais que je faisais tous les triples, mais quand je regarde maintenant, je suis impressionnée de voir ce que j'arrivais à faire, même en étant blessée ou malade.
 

6/ Est-ce qu'il y a un souvenir qui te revient plus particulièrement à l'esprit ? Tes deux tentatives de quadruples (boucle piqué et Salchow) lors de ton programme libre à l'occasion des Championnats d'Europe de Leningrad en 1990 ? Ton premier quadruple boucle piqué réceptionné et presque complet lors des Championnats du Monde de Munich en 1991 ? Ton Back Flip devant les juges lors de ta dernière compétition amateur aux J.O de Nagano en 1998 ?

Surya: Ça, jusqu'à ma mort, je m'en rappellerai ! Une tentative de quadruple en compétition, c'était déjà difficile à imaginer pour certaines personnes du monde du patinage. Après, le faire et le réaliser, c'est autre chose. J'étais très jeune de surcroît, j'avais 17 ou 18 ans. C'était pour le plaisir d'essayer et de réussir. Quand on n'essaye pas, on ne peut pas avoir cette chance. En tant qu'athlète, je me suis toujours dit qu'il fallait avoir l'esprit de compétition et se battre au maximum. Sur chaque compétition, j'ai toujours voulu me donner à fond, je n'y suis jamais allée pour faire moins. La plupart du temps, je savais ce que je voulais faire, j'étais déterminée à faire de mon mieux. Après, on voyait le résultat, mais c'était pour moi, pour avoir un challenge annuel. Toute l'année c'était comme ça, je voulais me dépasser.
 
7/ Les juges ont toujours montré une certaine réticence à l'égard de ton patinage. Tout le monde se souvient notamment de ton refus de monter sur la 2ème marche du podium lors des Championnats du Monde de Chiba en 1994. Comment perçois-tu cela maintenant 11 ans après ton passage chez les professionnels ?
Surya: Le patinage est déjà un sport difficile. Après, être français sur un plan international, c'était difficile à mon époque. Plus la couleur de ma peau et ma mère qui m'entraînait, c'était difficile également. J'avais plein de choses en ma défaveur. Ma devise était de patiner et de faire le maximum pour être la meilleure. Bien sûr, cette exigence demande de l'entraînement, beaucoup d'investissement et une grande régularité. C'est beaucoup de travail pour arriver à cette finalité, il faut s'astreindre à un régime d'entraînement très lourd.
 

Surya Bonaly lors du Bompard en compagnie du champion du Monde 2008 de roller en ligne Eric Traonouez (Photo BD)

8 / Referais-tu les choses de la même manière avec la réflexion ?
Surya: Sportivement oui. Mais c'est vrai, si j'avais été une autre personne ou d'un autre pays, cela aurait été plus facile. Dans le temps, les juges n'étaient pas très positifs, on ne donnait pas facilement une médaille comme ça. Il fallait vraiment être à la pointe et au somment de notre art et de notre sport.
 
9/ Tu avais clairement montré ta désapprobation lors des Championnats du monde en 94. Comment expliques-tu la réticence que les juges ont toujours eue à ton égard ? As-tu des regrets ?
Surya: J'étais au Japon, il fallait faire gagner une japonaise. C'est comme quand on va au Canada, il faut faire gagner un canadien. C'est malheureusement toujours comme ça. Ça devait passer à 99%, je devais être Championne du Monde. Ça s'est d'ailleurs joué à un juge près. Je ne regrette pas mon geste, j'ai été la première à le faire et à dire «J'en ai marre». Cette image a beaucoup marqué, j'en suis consciente. C'est facile de contester dans les vestiaires, mais oser le faire devant les caméras, c'est plus difficile. Du coup, d'autres sportifs ont fait la même chose lors des J.O de Salt Lake City en 2002 et cela a marché (ndlr: Jamie Salé et David Pelletier). Ils ont tellement protesté et fait un scandale qu'ils ont fini par obtenir une médaille d'or. Moi, je n'ai même pas demandé une 2ème médaille d'or lors des Mondiaux en 1994, j'ai voulu montrer mon mécontentement.
 
 

Surya Bonaly en compagnie de la championne Olympique 2006 Shizuka Arakawa (Photo Surya Bonaly)

10/ Tu avais fait la démarche pour revenir chez les amateurs et patiner aux Jeux Olympiques de Turin en 2006. Pour quelles raisons ces démarches n'ont-elles pas pu aboutir ?
Surya: Il y a des personnes qui étaient contre moi à 100% et qui n'ont rien fait pour soutenir cette volonté. J'ai fait ces démarches en 2005, pour les J.O de Turin effectivement. J'avais écrit une lettre à l'ISU qui devait d'abord passer par la Fédération Française. Il y a des personnes au niveau de la FFSG qui ont bloqué le passage. Quand la lettre est arrivée à la Fédération Internationale, il y a eu un blocage. J'avais la forme, j'avais la possibilité d'obtenir un bon classement. C'est dommage pour la France aussi, car aucune Française n'est allée à Turin.
 
11/ Le patinage a beaucoup changé avec ce système de jugement, quel est ton avis sur le patinage d'une manière globale à l'heure actuelle ? Les critères de jugement ne sont plus les mêmes, comment apprécies-tu cela ?
Surya: Il y a à la fois du bon du et mauvais, comme le Ying et le Yang. Le bon, c'est que le jugement est plus complet. C'est aussi très ennuyeux pour les juges et pour les spectateurs. C'est long, on ne comprend rien. L'attente des notes est interminable, cinq minutes pour chaque patineur. Quand on le voit à la télé, c'est insupportable. Tous les patineurs font les mêmes éléments pour avoir le meilleur niveau. Ce système de jugement a totalement standardisé le patinage et stéréotypé les programmes. Maintenant pour obtenir la meilleure note, on trouve trente patineurs qui essaient de faire une pirouette Biellman ou de se tirer le pied. C'est ridicule. Où est la liberté et l'originalité ? J'ai de la chance, j'ai arrêté de patiner au bon moment ! (rires)
 
12/ Quel est ton point de point de vue actuellement sur le patinage français, Brian Joubert, Delobel-Schoenfelder, Candice Didier, Canac-Coia… ?
Surya: L'équipe de France est assez complète. Le seul point qui coince, c'est l'équipe féminine, c'est une catastrophe ! Il faut être honnête, même si j'aime tous mes amis de l'équipe de France, c'est terrible pour cette discipline. Je ne veux pas que mes propos soient mal interprétés, mais j'ai du mal à croire que la France n'arrive pas à avoir de représentante(s) aux Jeux Olympiques. Un accident est possible, mais aucune Française sur deux olympiades de suite, ce n'est pas normal.
 

Surya Bonaly lors de la campagne contre le massacre des bébés phoques pour l’association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals)

13/ Justement, avec ton palmarès et ton expérience, quels conseils voudrais-tu donner aux patineuses françaises pour leur insuffler de la motivation ? Tu as certainement de bons conseils à donner, que voudrais-tu dire à ces patineuses qui sont en difficulté et qui n'arrivent pas à donner le meilleur d'elles-mêmes sur la glace ?
Surya: C'est difficile à dire, car personne n'est pareil. On ne réagit pas de la même manière lors des compétitions. Il y en a qui sont stressées, d'autres pas du tout. Moi, je ne peux pas manger de la journée avant de patiner, je suis obligée de le faire une heure avant. Je n'étais presque jamais stressée en compétition. Il n'y a pas de secret, mais les entraînements comptent énormément. Si on s'entraîne bien avant, on arrive ensuite avec de la confiance en compétition et on a de bons résultats. Il ne suffit pas de dire "je veux être champion ou championne" pour devenir une star, c'est plus difficile que ça. Il faut tout faire pour être une bonne personne en dehors de la glace, avoir du cœur et de la générosité. Quand on fait un sport de haut niveau, on le fait aussi pour se forger un caractère et affronter la vie.
 
 
14/ Si la Fédération Française te sollicitait pour intervenir auprès des patineuses, quelle serait ta réponse ? Serais-tu prête à venir en France pour essayer de donner un coup de main ?
Surya: Oui, ça pourrait être bien, pour aider, pour transmettre mon savoir et mon expérience. J'ai eu une chance inouïe d'avoir été championne avec l'aide de mes parents et d'autres personnes autour de moi. Il faudrait commencer avec de bonnes bases. Dès le début, j'ai commencé avec des bases solides et de bons professeurs, ce qui m'a permis de monter au plus haut niveau. Il faudrait peut-être faire revenir Didier Gailhaguet qui est président la Fédération Française maintenant, c'est lui qui m'a détectée. Avec ma mère, il m'a donné les meilleures bases du patinage, ces bases sont toujours là aujourd'hui. Au début, j'ai eu des profs à Nice aussi, Nicole Erdos a été très importante.
 
15/ Tu parcours toujours le monde entier pour faire des shows, désires-tu continuer à patiner plusieurs années en exhibition ?
Surya: Oui, si c'est possible, si la récession s'arrête. J'adore patiner, c'est ma vie, c'est ma carrière et j'en vis. Quand on voit la crise économique, je crois que je vais arrêter demain ! (rires) Je voudrais encore continuer quelques années, pas jusqu'à 50 ans, c'est sûr. Ça fait trente ans que je travaille énormément, c'est ça qui m'a aidée à garder la forme et une bonne condition physique. Il y a des gens qui m'ont aidée et qui ne m'ont pas laissé faire des dents de scie pour toujours garder mon niveau. Ma mère a joué un rôle très important dans cette rigueur et cette longévité. Encore à l'heure actuelle, énormément ! Quand j'ai besoin d'elle par téléphone, j'ai exactement le conseil qui me fera réussir, même si elle est à 10 000 kilomètres de moi.
 

Surya Bonaly lors du Bompard en compagnie du chanteur Fred’Angelo et de Stanick Jeannette (Photo BD)

16/ En plus de ces shows, tu entraînes aussi à Las Vegas, combien d'élèves as-tu ?
Surya: J'en ai quelques-uns, pas énormément, car je patine encore. Je ne peux pas avoir trop d'élèves, car quand je m'absente pour les shows, c'est difficile pour eux. J'ai la chance d'entraîner en équipe avec ma mère. Quand je ne suis pas là, c'est elle qui prend la relève et quand je suis là, on entraîne à deux. Nous entraînons dans la patinoire de Las Vegas. J'espère pouvoir faire des stages d'entraînements avec Stanick Jeannette, mais c'est difficile de trouver des dates.
 
17/ Comme Philipppe Candeloro, feras-tu une tournée d'adieu quand tu auras pris ta décision d'arrêter de patiner ?
Surya: Non, je ne pense pas, si c'est pour faire comme Cher ou Elton John qui ont dit adieu pour revenir 5 ans après. Ça me ferait mal d'arrêter brutalement et définitivement. Petit à petit, au fur et à mesure, oui.
 
18/ Dans les années à venir, souhaites-tu fonder une famille ?
Surya: Oui, comme tout le monde, j'aimerais bien. Je cherche, j'ouvre toujours mes yeux grands ouverts pour trouver la perle rare. Il est peut-être perdu à Paris ! (rires)
 
19/ Dernière question, il y a eu plusieurs défections pour le Trophée Bompard dans la catégorie féminine. Tu n'as pas envie d'essayer de patiner pour gagner un 6ème trophée à Bercy ? (rires)
Surya: Des fois, je me dis que je pourrais y être, mais me battre avec ces juges, c'est difficile. Je préfère être en dehors de ce système et faire des exhibitions. Il n'y a pas de critique et ça fait plaisir au public au moins. Il y a des personnes qui payent une fortune pour voir un spectacle, 200 dollars ou 200 euros. Je me dois de patiner à 120% pour ces spectateurs. Je ne veux pas décevoir, que ce soit pour 50 000 dollars ou 3 euros, je patine de la même façon !

Leave a Reply