Skate America : Analyse

 

Messieurs

La compétition fut relativement terne en l'absence de performances marquantes, mais le constat n'est pas forcément surprenant pour un début de saison. Les patineurs disposent d'une importante marge de progression et sont encore loin de leur meilleure condition physique.

Michal Brezina remporte son premier Grand Prix, essentiellement grâce à l'avance prise lors du court qu'il a nettement dominé. Sur sa chorégraphie de l'an dernier, plein d'intensité rythmique, il a livré une prestation maîtrisée qui lui permet d'approcher la barre des quatre-vingt points. Ce fut cependant plus difficile lors du libre : comme trop souvent, il réalise une entame solide mais ne tient pas la seconde moitié du programme (triple boucle non déclenché, triple Lutz chuté).  Alors que sa préparation n'a pas été perturbé par une blessure (il n'avait pas pu disputer les Grand Prix en 2010), il doit désormais être plus régulier. On peut aussi remarquer qu'il n'a pas tenté de quadruple saut (notamment le Salchow) alors qu'il avait émis l'intention de le proposer en compétition.

Kevin Van Der Perren profite des faiblesses de la concurrence pour s'emparer de la seconde place (son premier podium en GP depuis 2007) : après un court sans-faute, il montre sur le libre qu'il n'a pas perdu son aisance technique : le quadruple boucle piquée passe d'entrée, et il réalise une combinaison triple-triple-triple en seconde partie de programme. Certes, son patinage est toujours aussi lent dans l'exécution, fébrile sur les pirouettes et les pas, avec une chorégraphie sommaire, mais Kevin sait mettre en valeur ses qualités et il faut saluer son abnégation (à 29 ans ! ).

Takahiko Kozuka prend la troisième place : c'est forcément une déception pour le récent vice-champion du monde, mais il préserve tout de même ses chances de qualification pour la finale du Grand Prix. Peu en confiance, son patinage était encore en rodage : le quadruple saut est dégradé et chuté lors des deux programmes (c'était une première tentative sur un court), et il chute également sur le triple Lutz lors du libre. Cependant, il faut déjà souligner la finesse et la richesse de sa chorégraphie du libre (sur "Nausicaa" de Joe Hisaishi).

Richard Dornbush, qui a participé à ses premiers Mondiaux en mars, termine en quatrième position. Plus convaincant sur le court que sur le libre (medley maladroit de musiques d'Ennio Morricone), il doit prendre davantage d'assurance s'il veut à nouveau figurer sur le podium de son championnat national. Il devance Denis Ten, auteur de prestations inégales : sa glisse et ses sauts sont remarquables d'aisance, mais il ne parvient pas encore à tenir l'intégralité de ses programmes et à faire vivre une chorégraphie. Mais le jeune Kazakh n'a encore que dix-huit ans et doit prendre le temps de progresser.

Daisuke Murakami est sixième : sur le podium provisoire après le court (grâce à sa réussite sur le quadruple Salchow), il n'a pu rééditer sa performance sur le libre avec une stratégie sans doute trop ambitieuse. Il devance de justesse Douglas Razzano, qui a montré des qualités intéressantes pour son premier Grand Prix,  à domicile (il prend la cinquième place du libre avec deux triples Axel). Samuel Contesti prend la huitième place, corrigeant en partie sur le libre sa prestation catastrophique du court (aucun triple réussi). Mais il peut évidemment faire bien mieux.

Florent Amodio prend la neuvième place alors qu'il visait un podium : la finale du Grand Prix est logiquement hors de portée et de nombreuses interrogations se posent. Il n'était visiblement pas en condition, et même sans conviction dans la performance. Sur le plan technique, une chute sur un double Lutz lui coûte très cher sur le court (combinaison avortée), et le contenu du libre est très allégé : pas de quadruple Salchow, combinaisons manquantes et des réceptions peu sûres. On peut également rester sceptique sur la composition des programmes, qui reprend des éléments de la saison dernière : gestuelle démonstrative, poses…sans suffisamment valoriser sa qualité de patinage. Il reste sur une dynamique fragile (se faire plaisir, transmettre un enthousiasme euphorique) alors qu'il doit confirmer son exceptionnelle saison passée : cela doit forcément passer par des remises en questions, et cette première alerte peut certainement être bénéfique tant les véritables objectifs (conserver le titre européen et briller aux Mondiaux de Nice) sont encore loin.

Armin Mahbanoozadeh termine en dixième position après un libre beaucoup trop fébrile.

 

Dames

Alissa Czisny et Carolina Kostner ont livré un très beau duel, qui laisse envisager le meilleur pour la saison à venir si elles parviennent à conserver cet état d'esprit. A domicile, Czisny remporte de justesse son premier Skate America, grâce à l'avance obtenue sur le court. Son programme sur "La vie en rose" est limpide, met en valeur la fluidité et la grâce de son patinage : les sauts sont maîtrisés (malgré un "e" sur le flip), et les pirouettes sont déjà impressionnantes. Sur le libre, elle reste fidèle à ses ambitions nouvelles, tentant d'entrée la combinaison triple Lutz-triple boucle piquée, dégradée comme lors du Japan Open. Par la suite, elle chute sur le triple flip après un moment de déconcentration, mais se ressaisit sur le triple boucle. Elle se bat jusqu'au bout, malgré un échec sur le Salchow (qui ne passe qu'en double), et une dernière combinaison de trois sauts, double Axel-double boucle piquée-double boucle lui permet de conserver sa première place.

Carolina Kostner rate la victoire de très peu, mais peut être largement satisfaite pour un début de saison. Si son contenu technique est certes allégé (pas de triple Lutz, de combo triple-triple sur le libre), elle a montré une aisance d'éxecution remarquable, notamment sur le programme libre qu'elle remporte logiquement. La vitesse de son patinage et la clarté de ses lignes sont particulièrement mises en valeur par la partition de Mozart, et tout comme Czisny elle a fait preuve d'une sérénité et d'une ténacité très encourageantes.

Plus de trente points séparent les deux premières des autres autres patineuses, et les autres prestations furent malheureusement en demie-teinte. Viktoria Helgesson complète le podium sans avoir vraiment convaincu, prenant la cinquième place des deux programmes. Elle échoue à la fois sur le Lutz et le flip lors du libre, et son patinage manque encore de fermeté et de confiance. Haruka Imai est quatrième, largement pénalisée par les dégradations sur le libre. Sa technique de sauts manque de fiabilité et son expression est trop juvénile.

Ksenia Makarova est cinquième, et l'on ne peut guère tirer de conclusions sur sa performance puisqu'elle revenait de blessure. Elle était logiquement assez loin de son niveau, et elle devra revenir assez vite tant son championnat national s'annonce disputé. Caroline Zhang prend la sixième place en laissant deux impressions contrastées : du mieux sur le court, avant de retomber dans ses travers sur le libre. Elle a beaucoup travaillé sa technique mais elle reste fébrile, ce qui ne lui laisse pour l'instant guère de perspectives d'avenir. C'est une nouvelle frustration qu'elle devra surmonter : la tâche s'annonce difficile.

Elene Gedevanishvili prend la septième place, alors qu'elle s'entraîne désormais avec Brian Orser. N'ayant réussi aucun triple saut sur le court, elle s'est reprise sur le libre mais ses programmes sont encore en rodage. Joelle Forte prend la huitième place pour son premier Grand Prix, lourdement sanctionnée par des dégradations sur le libre alors qu'elle pouvait sans doute espérer mieux.

Valentina Marchei a également changé d'environnement puisqu'elle s'entraîne à Detroit avec Jason Dungjen et Yuka Sato. Elle prend la neuvième place et possède une nette marge de progression. Elle devance Joshi Helgesson, auteur de performances assez ternes.

 

Couples

Premier succès cette saison pour Aliona Savchenko et Robin Szolkowy, invaincus la saison passée. Des performances marquées par la prise de risque : d'abord sur le court, puisqu'ils tentent le triple Axel lancé. Une chute sévère les relègue en cinquième position, puisque cet échec a forcément bouleversé l'équilibre d'un programme. Ils comblent aisément leur retard sur le libre, qu'ils débutent avec un triple flip lancé toujours aussi impressionnant. Le choix chorégraphique est ici très ambitieux, reprenant des compositions du film-hommage de Wim Wenders à Pina Bausch. La prestation est donc marquée par l'héritage de la danse contemporaine, et l'introduction d'un lâcher-prise (visible dès la pose de départ) : la chorégraphie est encore en construction, mais apparait déjà très aboutie pour un début de saison. Leur aisance technique (malgré quelques approximations : un double boucle piquée pour Robin lors de la séquence de triples parallèles, et "seulement" un double twist) leur permet d'exprimer un relâchement et de s'approprier cette recherche esthétique.

Dan Zhang et Hao Zhang prennent la seconde place, pour un retour après une saison blanche en raison de blessures. En tête après le court, ils ont montré leurs limites lors du libre : très fiables techniquement malgré le manque de compétition, leurs lacunes artistiques ne leur permettent pas de rivaliser avec les Allemands.

Kirsten Moore-Towers et Dylan Moscovitch complètent le podium, confirmant leurs qualités athlétiques et leur dynamisme remarqués l'an passé (ayant remporté le titre national et pris la huitième place aux Mondiaux). Ils devancent Caydee Denney et John Coughlin, déjà prêts techniquement pour leur première saison, mais ils doivent trouver un unité pour l'instant absente.

Vera Bazarova et Yuri Larionov obtiennent une cinquième place frustrante : ils n'ont pas progressé sur le plan chorégraphique, et cela ne leur autorise aucun faux pas dans l'exécution. En difficulté sur les sauts individuels dans les deux programmes, ils ne peuvent dès lors prétendre au podium. Ils devancent deux couples américains : Tiffany Vise et Don Balwin sont sixièmes, Mary Beth Marley et Rockne Brubaker septièmes (l'écart de maturité et de niveau avec sa partenaire est bien trop important). Maylin Hausch et Daniel Wende prennent la huitième place, un peu justes sur le plan physique, avec une chorégraphie à l'état d'ébauche.

 

Danse

Meryl Davis et Charlie White, champions du monde en titre, s'imposent sans difficulté. Avec la virtuosité qui les caractérise, sans forcément apporter davantage. Meryl apporte un humour et une légèreté bienvenues, s'accordant avec l'explosivité et l'enthousiasme de Charlie. Les programmes restent cependant fidèles à ce que proposent depuis plusieurs années Shpilband et Zoueva, calibrés par rapport au CoP, mais il ne faut pas en demander davantage.

Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat prennent la seconde place : Fabian souffrant d'une bronchite, ils ne pouvaient pas espérer s'approcher des scores de Davis/White. Dans ces circonstances, le bilan est prometteur. La danse courte dévoile une unité et une sensibilité d'une grande richesse : une chute sur une transition interrompt malheureusement l'équilibre du programme, mais cela n'a pas de conséquence sur le classement. La danse libre, très chargée visuellement et spectaculaire, offre un beau contraste avec celle de la saison passée. Le montage musical est bien rodé, de même que la répartition des éléments qui met en valeur ce thème égyptien (remarquable travail sur la gestuelle des bras). Leur choix de disputer trois Grand Prix les contraint à participer au Skate Canada dès le week-end prochain, en espérant que cela ne soit pas pénalisant à long terme.

Les autres couples n'ont évidemment pu rivaliser avec les deux premiers : Isabella Tobias et Deividas Stagniunas obtiennent leur premier podium en Grand Prix, grâce à leur fiabilité tant leurs programmes sont apparus désincarnés. Nelli Zhiganshina et Alexander Gazsi prennent la quatrième place, avec une danse libre particulièrement décevante pour un couple du top 10 européen.

Kharis Ralph et Asher Hill, cinquièmes, ont livré des prestations encourageantes, notamment sur le libre. Ils ont eu des difficultés à gérer la transition en senior (ils étaient cinquièmes des Mondiaux Jr en 2009), mais leurs qualités artistiques sont à souligner. Cependant, le niveau d'Asher Hill est bien plus élevé, et les lacunes techniques de Kharis Ralph peuvent malheureuement freiner leur progression.

Madison Hubbell et Zachary Donohue prennent la sixième place, en laissant entrevoir un potentiel intéressant pour leur premier Grand Prix (moins de deux points séparent la troisième de la sixième place). Leurs compatriotes Isabella Cannuscio et Ian Lorello, septièmes, sont bien plus loin. Alexandra Paul et Mitchell Islam prennent une très décevante huitième place, en raison d'une danse courte catastophique marquée par deux chutes. Et leur exécution est encore très scolaire.

 

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